• En équilibre constant 28

    Quand je pense à la crise que nous traversons, moi et mes potes, je trouve qu’elle a le mérite d’être sincère. On ne peut pas nous reprocher le contraire. Bon, c’est vrai, il y en a pour qui ce passage obligé vers le monde des adultes est plus forcé que chez d’autres. Je pense à Arthur que cloper fait tousser et donc n’avale plus la fumée. En cours il la ramène tout le temps devant les profs simplement pour le plaisir de contrarier son monde. En revanche, une fois sorti du lycée il n’a rien d’un rebelle. Mais faut pas généraliser. Les adultes ont trop tendance à nous mettre tous dans le même sac. Se chercher, être perdu, vouloir comprendre absolument, ça passe forcément par des moments de découragement qui se traduisent par des coups de gueule intempestifs et des sentiments exagérés. Je sais tout ça. Le problème, c’est que je lutte constamment contre mes mauvais penchants dans le but un peu vain de ressembler à un adulte équilibré maîtrisant tout et donnant des leçons de morale à ses amis.

    Quand je me force à être comme tout le monde, je ne suis pas à l’aise. Lorsque je me laisse aller à ma vraie nature, je ne me sens pas accepté. La question que je me pose est la suivante : faut-il que j’endure encore longtemps la mise à l’écart que les autres me font subir ou est-ce que je dois à un moment ou à un autre capituler avec mon désir d’être moi-même pour ne plus être embêté et être enfin admis dans le cercle de mes semblables ? Si tel est le cas, cela signifie que je dois dès à présent changer de cap, me fondre dans la masse, me métamorphoser en quelqu’un de moins compliqué, de plus terre à terre, de moins intérieur et de plus indifférent aux mystères qui l’entourent. Si je comprends bien, dans un cas comme dans l’autre les efforts que j’ai fournis depuis que j’existe pour trouver ma voie n’ont servi à rien. J’entends par là qu’il y aura encore des compromis à opérer, des tirs à rectifier ou des parties de moi-même qu’il faudra ajuster au risque de voir l’ensemble du puzzle que je représente s’écrouler lamentablement.

    Je n’ai qu’un objectif : atteindre la plénitude afin d’être capable de m’adapter à toutes les situations, de comprendre le monde qui m’entoure dans le but ultime d’aimer et d’être aimé sans m’aliéner pour autant et perdre mon identité. Ma quête est sans doute trop exigeante, me dirait mon père. Pourtant même si on n’est pas toujours d’accord tous les deux, c’est à lui que je pense dans mes moments de détresse existentielle. Il m’accompagne en titillant mes certitudes, me fait hésiter alors que j’aurais besoin d’être encouragé. Il ignore qu’on maîtrise mal la contradiction, nous autres adolescents. En tout cas, on n’aime pas prendre un adulte en flagrant délit de ce côté-là. On aime les choses claires et nettes parce que nous-mêmes on est un peu comme des spectres perdus dans le noir.

    L’autre jour, en parlant avec Ben, nous en étions arrivés à évoquer les rêves que nous faisions la nuit. J’étais surpris de constater qu’à part l’activité de son inconscient il n’avait aucun rêve qui l’animait dans la vie de tous les jours. Il a dû chercher pendant des plombes pour en trouver un. Ça, ça me sidère par exemple. On dirait que les gens ne le touchent pas, qu’il sort avec des filles sans rien éprouver pour elles, même un petit peu, qu’il se fout de la politique. Le seul truc qui le branche, c’est le punk-rock et je crois que c’est pour ça qu’on est potes. Dès qu’il arrive chez lui, il télécharge des morceaux sur son PC toute la journée, mais uniquement de punk-rock et il n’a aucun rêve. Je ne sais pas, moi, il pourrait rêver d’être sur scène et d’interpréter la même musique que celle qui le fait vibrer, mais non. Il se contente de la compiler, de l’écouter et de me la faire découvrir quand il arrive à choper un nouveau groupe que personne ne connaît encore.

    Peut-être que je suis trop critique et qu’à force de voir les défauts des autres je ne sais plus très bien vers quel chemin me diriger, de peur de faire fausse route. Je me méfie des apparences. Les bonnes intentions sont suspectes pour moi. D’où me vient cette méfiance que je ne m’explique pas ? Le surplace de ma pensée me sidère. Comment faire pour qu’elle avance, qu’elle progresse et génère à son tour des idées nouvelles qui m’aideront à mieux vivre ? Si tous mes copains étaient comme moi, je ne m’inquiéterais pas, je me dirais, c’est normal ce qui m’arrive, ça passera avec le temps. Mais non, eux, même s’ils se cherchent encore, n’ont pas ce sentiment de ne pas avancer. Ils pensent plutôt qu’ils vont vite et qu’on n’arrive pas à les rattraper et ça les exaspère. Oui, je sais, ils ont un peu raison d’un certain côté. Ils trouvent dans la course qu’ils mènent un moyen de perdre les adultes et d’affirmer leur personnalité. Le problème c’est qu’ils ignorent encore que la ligne d’arrivée qu’ils envisagent d’atteindre le plus rapidement possible, ils ne la verront jamais. Elle reculera au fur et à mesure qu’ils s’en approcheront. L’illusion du bonheur c’est un peu comme ça que je me la représente. Comment vais-je poursuivre mon existence si tout autour de moi me rappelle que je serai seul quoique j’entreprenne ?

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