La poésie est un bon moyen de faire sauter les verrous de sa dépendance à la langue. Elle permet de jongler à la fois avec les codes narratifs et picturaux, sans jamais être tout à fait un récit ni un tableau. Le mélange astucieux des deux tendances rend cet art très particulier et universel. Peut-être qu’avec le temps cette forme artistique - de plus en plus pratiquée - l’emportera sur les autres modes d’expression littéraire existants. Les gens en liront de plus en plus au détriment des formes plus longues comme le roman : ils auront besoin eux aussi de rompre les chaînes du langage les liant d’une certaine manière au pouvoir en place, aux normes dictées par un certain conformisme ambiant. Et ce dans le but d’affirmer leur personnalité sans complexe et sans honte. Il y aura je crois dans les années à venir un renversement de la tendance actuelle, celle de penser que la poésie est réservée à l’élite, comme on nous l’a fait comprendre à l’école où encore actuellement on peut lire noir sur blanc dans les bulletins officiels de l’Education Nationale que le mouvement surréaliste est un mouvement poétique contemporain.

Je reste persuadé, comme Chloé Delaume le prétend, qu’écrire le Je ne relève en rien du narcissisme, mais de l’instinct de survie dans une société où le capitalisme écrit nos vies et les contrôle. On pourrait remplacer   « le Je » par « de la poésie » et sa réflexion demeure tout aussi pertinente.

En revanche, les vers abscons s’auto-détruiront d’eux-mêmes dans ce contexte de survie qu’on peut facilement imaginer. Ils n’intéresseront qu’une minorité d’élites qui se gargarisera d’avoir accès à cet art hautement abstrait de leur caste, c’est-à-dire en définitive, à l’imposture de la pensée unique dépourvue entièrement d’inventivité et de sensualité. Uniquement tournée vers les grands mots et la désincarnation du réel.