• Les voyages arrivent au dernier moment (incipit)

     

     

    Voir la bouche grande ouverte de mémère dans la salle funéraire climatisée, je ne m’y attendais pas : il faisait trente-cinq degrés dehors sur le parking. La valise de l’enterrement - qui avait pris quelques coups dans la soute de l’Airbus lors de mon dernier voyage en Australie -, je l’avais ressortie pour mon déplacement exceptionnel dans les Ardennes. La chute de mémère à cause d’un tapis au moment où sa petite-fille ouvrit la porte, je me la suis très bien représentée. Le trajet en train que je venais de faire de Vendée jusqu’à Reims et les questions enfantines de ma fille juste avant mon départ pour les obsèques, m’empêchaient de réfléchir comme j’aurais voulu.

     

    Moi je ne veux pas tomber, sinon je vais mourir comme mémère, me dit-elle. J’avais encore en tête, debout, la main droite agrippée à mon poignet gauche – comme si je défendais seul les buts avant le coup franc tiré par un bulldozer -, devant le corps inanimé de ma grand-mère, cette phrase de ma fille de cinq ans. Une partie de la famille pleurait, murmurait des paroles inaudibles à l’oreille du cadavre et lui embrassait le front poudré. Il fallait lui dire un dernier adieu par un baiser que je ne réussis pas à lui donner.

    Tu prends ta grosse valise, papa, pour aller à l’enterrement de mémère ? me demanda Niris avant que le taxi n’arrivât, parce que tu vas revenir avec elle enfermée dedans ? comme ça on la gardera à côté de nous, mémère.

    La bouche ouverte de ma grand-mère au milieu de son visage blanc formait un trou noir sous la lumière blafarde de la salle. Ils lui avaient laissé ses lunettes pour masquer le creux des cernes, avais-je pu comprendre entre deux silences.

    C’était plus fort que moi, j’imaginais mémère dans ma valise, morte, à la gare de Rethel, à Epernay, à Paris, à Niort et enfin à Fontenay-le-Comte dans le coffre de la Citroën, puis enfin ouverte devant les yeux ébahis de Niris en guise de surprise. J’essayais de me raisonner, Ce n’est pas possible de penser des choses pareilles dans un moment de recueillement comme celui-ci.

     

    Le cercueil était de belle qualité. Ma sœur s’était coupé les cheveux. Mon petit frère portait maintenant lui aussi des lunettes comme moi-même et mémère dans la bière. D’ailleurs nous étions une majorité à être miro dans la famille, je venais de m’en rendre compte. Ma présence seul, ici, parmi les miens, sans ma femme et mes enfants, me rendait encore plus étranger au corps de mémère allongé. Je ne veux pas dire que je ressemblais à Meursault quand il raconte que sa mère vient de mourir et que cela ne lui fait ni chaud ni froid, non, mais disons que c’est ma tête qui n’arrivait pas à se souder à mon corps ce jour-là. 

     

     

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 24 Novembre 2016 à 06:34

    Qui sommes-nous devant la mort ? Je vois se profiler celle de ma mère ; c'est une situation évidemment difficile à vivre ; mais j'ai aussi des histoires de valises dans la tête, et je me demande parfois pourquoi et d'où elles viennent ?

      • Jeudi 24 Novembre 2016 à 07:27

        C'est vrai, toi aussi, tu as des histoires de valises dans la tête ? Peut-être viennent-elles de nos désirs de vie, d'aller de l'avant, vaille que vaille...

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