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    Damien a du mal à se concentrer sur son roman. On dirait même qu’il fait semblant de lire depuis le début, fasciné par cette soif jacassière qui depuis plus d’une heure anime sa fille.

    Danielle, quant à elle, s’inquiète :

    - Tu crois que c’est normal de bavarder autant, demande-t-elle à Damien, c’est peut-être de ma faute aussi, je n’ai pas arrêté de lui parler quand elle était petite à l’hôpital. De tout et de rien. Quand on se retrouvait toutes les deux le soir, après ton départ, je lui racontais des histoires que j’avais dans la tête et que j’inventais pour elle, tout en lui caressant la main. Elle était tellement perfusée de partout que c’était ma manière de la prendre dans mes bras. J’arrêtais vraiment quand je voyais qu’elle fermait les yeux, qu’elle était rassurée, et qu’elle semblait ne plus souffrir du ventre. Dès qu’elle ouvrait les yeux, même en pleine nuit, ou qu’elle geignait un peu, je me relevais pour lui parler et ça la calmait tout de suite. J’ai toujours été comme ça avec elle. Ça vient certainement de là sa boulimie des monologues. Parce qu’en réalité c’est ça qu’elle fait, elle s’écoute, comme si elle se parlait à elle-même pour se rassurer de je ne sais pas quoi. Jusqu’à tomber de fatigue.

    - Il n’y a que quand elle est sur ses puzzles qu’on ne l’entend pas, lui répond Damien.

    ( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

     

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    Voilà ce que j’aimerais filmer un peu mieux : le paradoxe entre la maladie partagée par la famille et celle vécue par Léa. Ce n’est pas la même et cette dissemblance parfois fusille le moral des parents. Les symptômes de la première sont différents de ceux de la seconde. Ensemble Damien, Danielle et Léa avancent en sachant pertinemment que le partage n’est pas équitable, ou plutôt qu’il est faussé dès le départ.

    La  solitude liée à la maladie sera le temps fort de cette troisième partie. Je ne pensais pas qu’en tournant un film sur mes enfants, je réaliserais un documentaire sur la solitude.

    Je me suis toujours intéressé à ce problème et je comprends maintenant pourquoi je voulais créer ce long métrage. Au lieu d’explorer de nouvelles pistes, comme j’en avais l’intention au commencement de mon projet, je me retrouve sur les mêmes traces qu’à mes débuts, en possession de clés servant à ouvrir d’autres portes. Mon rôle est de les trouver.

    ( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Au moment où le docteur retire énergiquement son stéthoscope des oreilles, les parents sont encore plus tendus. Ils appréhendent le verdict, l’heure de vérité, l’annonce du début des complications, des crépitations dans le thorax ; l’évolution classique de la maladie vers l’insuffisance respiratoire.

    - Tout va très bien, tu es en pleine forme Léa, déclare le médecin sans regarder les parents exclus du résultat de l’examen clinique de leur fille.

    ( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

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    Les parents sont l’un à coté de l’autre et sans se regarder se rejoignent par la pensée. Ils ont les mêmes mimiques des couples vivant ensemble depuis des dizaines d’années, même lorsqu’ils sont visiblement inquiets, cela transparaît chez eux de la même façon : avec un léger froncement des sourcils qui leur fait deux petits plis verticaux entre les deux yeux.

    Leur respiration s’est arrêtée. On croirait qu’ils se font ausculter eux-mêmes. En apnée, ils vont le rester jusqu’à ce que le médecin demande à Léa de se rhabiller. Ensemble ils vont souffler pour reprendre leur respiration. Personne ne s’aperçoit de rien, de cette angoisse qu’ils ressentent et qu’ils ne veulent surtout pas communiquer à leur fille.

     

     

     

     

     

     

     

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    Une fois le document imprimé, il le tend à Léa. Elle lui demande ce que c’est. Ses explications appellent d’autres interrogations de la part de la fillette : elle veut savoir si elle va faire ça toute sa vie ou si c’est parce qu’elle est enfant qu’elle joue comme ça à souffler des bougies dans un ordinateur.

    - Oh, ben non, ma poule, après tu souffleras toujours dans le même tuyau relié encore à un ordinateur mais là t’auras aucune bougie à souffler, seulement à les imaginer pour t’encourager à souffler bien fort, comme tu viens de le faire, lui annonce-t-il sans hésiter. Je suis sûr que tu réussiras aussi bien qu’aujourd’hui.

    - Toi aussi tu souffles dans l’ordinateur ? lui demande Léa.

    - Moi je fais souffler les gens, c’est mon métier. Je ne peux pas faire deux choses à la fois. Ce serait trop compliqué. Tu comprends ?

    Léa n’a pas l’air convaincu, mais elle ne pose pas d’autres questions : elle est trop contente de retrouver ses parents dans le bureau de la pneumo-pédiatre en train de s’entretenir avec eux.

    Le technicien confie au médecin la courbe sortie de l’imprimante.

    -                    C’est très bien Léa, tu as bien soufflé, lui déclare la spécialiste de la mucoviscidose.

    Ce compliment, venant de la bouche du médecin qui auparavant avait annoncé à Danielle et Damien que leur fille avait de grands risques de contracter une cirrhose plus tard, chasse comme par enchantement le nuage noir planant au-dessus d’eux il y a encore cinq minutes.

    -          Alors comment ça va Léa, lui demande le médecin.

    -                    Ça va, répond Léa, en plus j’ai soufflé toutes les bougies du gâteau. Hein, je suis une grande fille, maman ?

    -                    Oui, ma chérie, lui dit sa mère en l’embrassant sur le front, tu es formidable.

    -                    Tu viens que je t’ausculte un peu, lui demande le médecin.

    Léa s’exécute, sans mot dire, singeant à nouveau la grande fille obéissante et raisonnable, bien décidée à ne plus faire de crises pour un oui pour un non à chaque fois qu’on lui demande quelque chose.

    - Tu peux retirer ton pull et ton T-shirt que j’écoute ton petit cœur et tes poumons ? lui dit le médecin.

    Léa soulève son maillot, aidée par Danielle. Puis elle s’allonge gentiment sur la table d’auscultation et ne quitte pas des yeux cette femme en blouse blanche ; elle lui parle avec douceur au-dessus d’elle tout en l’auscultant.

    Danielle et Christian suivent eux aussi du regard l’air sérieux et appliqué du médecin au travail.

    - Assieds-toi, s’il te plaît Léa. Il faut que j’écoute aussi dans ton dos.

    Le silence est général. Les parents sont accrochés aux expressions du visage de la pédiatre. Tout en déplaçant son stéthoscope dans la partie supérieure du dos de Léa, le médecin en profite pour inspecter du regard le corps tout grêle de sa petite patiente. Que pense-t-elle ?

     

     

     

     

     

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