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     A Jérôme Leroy et son excellent roman Vivonne, Editions de La Table Ronde qui vient de remporter le prix de l'imaginaire du meilleur roman francophone 2022.

     

     

    Ce bruit de mobylette de plus en plus lointain

    la nuit alors que tout est calme

    a quelque chose de mélancolique

    c'est vrai maintenant que je le lis

    dans cet hôtel où l'homme de passage

    devient insomniaque dès qu'il n'est pas

    chez lui dans son lit près de sa femme.

    Il n'avait jamais fait ce rapprochement

    comprend-on en le lisant

    et forcément c'est ce détail-là

    que je retiendrai pour moi-même

    et pour mes sensations parfois

    si fugaces et indéchiffrables

    que j'en perds comme le personnage

    du roman dont j'aime la sensibilité

    le sommeil et l'envie de dormir.

    Le besoin de me reconnaître

    quelque part quand je me sens

    transparent et absorbé

    devient de plus en plus littéraire

    de plus en plus rassurant

    de plus en plus réel

    et cela m'apaise dans l'inconnu.

     

     

     

     

     

     

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    Pendant que Léa dort, après plusieurs heures de discours décousu et d’histoires réinventées à sa sauce, Danielle s’installe dans son bureau afin de compléter le journal de sa fille.

    Elle y note tout ce qui pour elle est essentiel : les nouvelles réflexions de Léa, les questions qu’elle lui pose, les jeux qu’elle s’invente, le monde qu’elle se créée, ses goûts alimentaires très limités et ses progrès en matière d’autonomie.

    Ce soir, elle hésite à détailler ce dont elle se souvient des quinze derniers jours. Peut-être n’est-ce pas si important, se demande-t-elle. L’essentiel c’est de vivre avec elle encore plus intensément la vie qu’on lui a donnée plutôt que de lui raconter celle qu’elle a eue et que nous avons partagée ensemble avec Damien, poursuit-elle.

    Danielle est au bord des larmes devant les mots qu’elle relit d’elle : à la lumière artificielle de sa lampe de bureau, ils lui semblent déjà lointains.

    (Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

     

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    - Viens ici, Petite, que j’écoute ton cœur. Ne bouge pas. Ne t’inquiète pas. Tout ira bien. Si tu bouges j’aurai du mal à bien t’ausculter. Allez, calme-toi !

    Doucement Léa place sur sa poupée une couverture en laine  que sa mamie a spécialement tricotée pour elle. Elle la couvre de baisers en la rassurant sur sa maladie.

    -                    Demain, on va au CHU. Jérôme vient nous chercher. Tu verras, elles sont gentilles les infirmières. Elles font même pas mal quand elles piquent dans ton bras. Non, Petite, n’aie pas peur. Léa est près de toi. Elle te protège, dit-elle en lui caressant la main.

    Elle la découvre puis la recouvre. La tourne sur le ventre puis la retourne sur le dos. Elle l’inspecte sous toutes ses coutures, puis annonce gravement son diagnostique :

    - Tu vas devoir prendre des antibiotiques, Petite. Tu verras ça va passer avec ça. Mais faudra pas faire la colère quand Léa te les donnera. Promets-moi, Petite. Attention parce que le Père Noël, il te regarde par la fenêtre et si jamais, il s’aperçoit que tu fais la crise, t’auras pas tous les jouets que tu lui as commandés.

    Danielle l’observe du coin de l’œil. Elle ne veut surtout pas la perturber en plein jeu. Elle est attendrie par les précautions qu’elle prend à l’égard de sa poupée préférée.

    (Extrait de Notes prises pour un film qui n'aura jamais lieu.)

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    Filmer les murs de la salle de bains avec en fond sonore les quintes de toux de Léa suffit à planter le décor. Je n’ai pas besoin de m’attarder davantage sur les regards des uns et des autres. D’autant plus qu'ils n’apporteraient rien au climat de complicité régnant dans ce lieu inattendu.

     Tourner ici la pensée invisible ; celle à l’origine de la tenue de la colonne vertébrale du désir m’intéresse au premier plan.

    Faut-il toujours quand on réalise un long métrage sur ses enfants ne penser qu’à ça et oublier le reste ?

    Martin, Julie et Léa dans mon film ressemblent à des pièces de jeu d’échec : ils avancent selon une stratégie décidée, revue et corrigée par le cerveau embué d’un joueur passionné. Les sursauts appartiennent aux parties remises.

    La fratrie est composée d’individus n’ayant  souvent rien à voir les uns avec les autres. Je m’aperçois en filmant que le sentiment de fraternité est volontairement absent de l’intrigue. Ainsi c’est davantage l’enfant en tant qu’être humain à qui j’ai voulu rendre hommage plutôt qu’à son rôle auprès de ses frère et sœur. Cela aurait tout faussé.

    Le regard du père posé sur chacun de ses enfants est singulier : il vient du nerf optique qu’il tend dans l’espoir de l’accrocher quelque part, à un bout de lumière qui lui fera accepter ce qu’il ne peut plus transformer, sinon en l’inventant.

    ( Extrait de Notes pour un film qui ne verra jamais le jour )

     

     

     

     

     

     

     

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    Pendant ce temps, Danielle regarde Léa travailler avec son kiné. Ces exercices la laissent pensive. La salle de bains où se déroule la séance ressemble à un bloc opératoire. Le masque et la blouse que porte Stéphane ont tout de l’attirail chirurgical.

    Si seulement ces précautions hygiéniques pouvaient une bonne fois pour toute empêcher les mauvais germes de bouffer les poumons de ma fille, alors je serais prête à m’habiller comme le kiné toute ma vie, même pour aller au travail, pense Danielle.

    La toux de Léa est forcée par les gestes appuyés et professionnels du kiné. Elle veut plaire à Stéphane. Il la félicite à chaque crachat qu’elle ravale pendant que Danielle a la bouche pleine de salive avec l’envie  d’expulser de la gorge de sa fille ses sécrétions épaisses ; elles partiront avec le reste des repas plus ou moins bien digérés dans ses selles grasses.

    La stagnation des mucosités est inévitable, avec le kiné elle est moins grave, pense Danielle. Si seulement il pouvait la soulager pour le restant de ses jours ; qu’à son contact la vie redevienne normale sans menace supplémentaire de complication à prévoir et que la greffe soit évitée. Danielle n’espère que cela.

    Le silence enferme dans son antre l’attente d’une délivrance ; la fatalité du désespoir.

    À coups d’expirations et d’inspirations, Léa, à la lumière crue de la salle de bains, regarde sa mère pensive. Elle lui sourit. Danielle est gênée mais lui rend son sourire. Le kiné reste professionnel, méthodique et doux avec sa patiente. Les compliments qu’il lui adresse l’aide à travailler comme il le lui demande.

    (Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour)

     

     

     

     

     

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