J’aurais pu être

saltimbanque grimacier

installé du matin au soir

derrière un castelet

sur une place publique

rien que pour le plaisir

d’entendre rire les enfants

mais je suis devenu

un homme hésitant

en permanence entre

le son et le sens.

J’aurais pu être

laveur de vitres

d’immenses gratte-ciels

mais je suis devenu

voyageur immobile

parcourant des kilomètres

et des kilomètres

dans sa tête

jamais fatiguée.

J’aurais pu être

entomologiste

spécialiste d’espèces

rares et tropicales

mais je suis devenu

un animal sorti d’une forêt

un jour d’automne

avec dans le ventre

une faim insatiable

de comprendre les humains.

Que reste-t-il

de ces discussions passionnées

où nous refaisions le monde

à tue-tête

en écoutant du rock

en riant comme des fous

en écrivant à plusieurs mains

en lisant à voix haute

nos propres productions

en peignant sur des toiles

récupérées à droite à gauche

sinon des ciels bas

peuplés d’étoiles filantes

que j’observe toujours

avec tendresse et fascination ?

Que reste-t-il

de ces lettres anonymes

que je recevais

chez moi à la même heure

tous les jours

pendant presque un mois

à l’âge de vingt ans

de la part d’une inconnue

qui ne me voulait que du bien

sinon un sourire jaune

dans la nuit

face à mon écran d’ordi ?