• Je n'ai pas vu ma petite fille

     

     

     

    Je n’ai pas vu ma petite fille se transformer en jeune femme, se dit Damien. C’est arrivé sans que je m’en rende compte. Du jour au lendemain, je crois, que j’ai eu en face de moi un être complètement différent que j’ai eu du mal à reconnaître. Mais impossible de me souvenir quand cela s’est passé exactement.

    Les photos d’elle quand elle était petite et qu’elle a gardées dans sa chambre au milieu d’autres plus récentes me fascinent toujours autant. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer les clichés intermédiaires qui ont donné naissance à la petite femme qu’elle est maintenant. C’est certainement de la déformation professionnelle.

    Cette écriture d’enfant, quand elle était au collège, n’a plus rien à voir avec celle qu’elle a maintenant depuis qu’elle est au lycée. Les lettres se sont arrondies et l’encre a changé de couleur. Ecrire en violet c’est moins banal que le bleu foncé ou le noir habituel.

    L’agenda resté sur son bureau est pratiquement vide. Au début de l’année, les devoirs et les leçons y étaient scrupuleusement notés. Puis au fur et à mesure de l’année, de moins en moins d’exercices, de dissertations, de compositions et autres travaux scolaires y ont été inscrits. Le blanc correcteur est une nouvelle peinture ; elle décore en grande partie la première de couverture de ce cahier de texte moderne et customisé.

    Dans une vieille rédaction datant du collège qui traîne sur son bureau, on peut lire que le cauchemar de Julie est de devenir paraplégique et de dépendre entièrement de ses parents jusqu’à la fin de sa vie. Ceci a l’air de rassurer Damien : il sourit en apprenant la nouvelle. C’est la première fois qu’il lit une composition de français rédigée par sa fille. Pourquoi n’a-t-elle jamais voulu me montrer ses travaux scolaires ? se dit-il tout en continuant à lire son texte.

    Plus loin, il apprend que son rêve le plus grand c’est que les chercheurs trouvent un jour un moyen de rester immortels. Et elle explique que la vie passe tellement vite qu’on meurt forcément trop tôt ; qu’il faut du temps à l’homme pour s’améliorer. En devenant immortel, elle dit qu’elle est sûre qu’il n’y aurait plus de guerre. L’homme serait parfait. Drôle de raisonnement pour une fillette de douze ans. Cela le laisse rêveur. Immortalité, liberté et indépendance se rejoignent quand on y pense, se dit-il.

    ( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

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