• Je voudrais

     

     

     

     

    Je voudrais surtout que Damien apparaisse comme une ombre discrète mais toujours là. On le devinerait parmi la foule déchaînée  en train d’applaudir ou de secouer la tête au rythme des guitares, les yeux fixés sur son fils et plus particulièrement sur sa main gauche qui monte et qui descend sur les cordes du manche de son instrument.

    Le rêve d’un homme a des prolongements inattendus que la naissance de son enfant  perpétue d’une certaine manière. Comment autant de points communs peuvent-ils en l’espace d’une seule génération se télescoper sans aucune concertation ?

    Le père devra être en même temps spectateur de ce gigantesque carambolage des sens. La musique agira comme un contrepoint : elle fera prendre la mayonnaise des émotions. Je recherche l’image la plus à même d’incarner cette abstraite alchimie. Je ne trouve rien de mieux que  la musique que Martin a écrite pour The Scatterbrained ; elle poursuit les pensées du père, telle une voix venue d’ailleurs. En plus, elle se prête particulièrement bien à ces drôles de correspondances entre la vie d’un adolescent et les vieux rêves d’un père.

    Je ne sais pas comment filmer la résonance d’un tel écho. Il y a autre chose que des souvenirs : ceux-ci n’apporteraient rien à personne, ni au personnage du père, ni au public. La musique a une force évocatrice que l’image ne traduit pas toujours comme il faut. Mon rôle est de trouver un équilibre entre la tentation de l’abstraction personnelle et la figuration universelle. Je dois lutter contre ces deux tendances dont mon œuvre toute entière est empreinte. Certains me font le reproche d’être trop anecdotique et d’autres trop cérébral. Créer n’est-il pas justement une variation oscillant entre ces deux bornes ? J’entends déjà les critiques m’échauffer les oreilles avant la sortie même du film. On a beau dire qu’on en n’a rien à foutre de leurs remarques à la con, de leurs références à la mords-moi-le-nœud, ça nous touche toujours en plein cœur, tout ça. Plus je filme, plus je tends le dos à chaque fois qu’on annonce la sortie de mon nouveau long métrage. Je devrais au contraire être blindé et poursuivre ma route coûte que coûte. Ma réputation est faite et plus rien ne pourra la changer. C’est comme ça en art : on met du temps à se faire connaître, mais une fois qu’on est accepté – à des degrés divers, bien sûr -, notre image est immortelle. Car qui sommes-nous vraiment pour notre public, nous autres artistes, sinon de vagues images plus ou moins proprettes des fantasmes des uns et des autres collant et se décollant à nos inconscients collectifs ? Que cherchons-nous à atteindre en créant sinon la glu sublime de notre imaginaire : elle permettra à ceux  ne jurant que par elle – dieu seul sait pourquoi - de se fixer un peu mieux dans le réel ?

    ( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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