• L'heure approche

     
     
     
     
    L’heure approche où le stewart responsable du groupe viendra les chercher pour les emmener directement à bord du Boeing. Il ne reste qu’un quart d’heure avant son arrivée et les jeunes continuent à se regarder en chien de faïence. Passagers malgré eux du même convoi transatlantique, les figures se ferment. Ils ressemblent à des prisonniers qu’on envoie au bagne. Sans doute sont-ils forcés de retrouver leur père ou leur mère américain qu’ils n’ont pas envie de rejoindre.
    Il y a en réalité deux clans, celui des mineurs non accompagnés d’une part et d’autre part celui des parents accompagnateurs, comme Damien, et ceux-là tournent et virent dans l’aérogare, à l’affût de tout et de rien, ou pour certains - habitués à ces séparations organisées – ils partent s’asseoir dans leur bar favori, prendre un café en attendant.
    Damien se rapproche de sa fille. Elle ôte ses oreillettes et daigne enfin adresser la parole à son père mais il n’a rien à lui dire sinon qu’il va être temps d’y aller. Julie veut en avoir la confirmation. Elle jette un coup d’œil furtif à l’horloge digitale. Il est douze heures quarante-cinq et c’est l’heure du rassemblement près du bureau d’accueil d’Air France. Ni trop tôt ni trop tard. Il a appris à apprivoiser les troubles obsessionnels compulsifs de Julie. À la seconde près, l’heure n’est pas l’heure. À la minute près, l’heure c’est l’heure. Il sait que les catastrophes sont passagères mais désagréables quand elles se produisent à longueur de temps, n’importe où, pour un oui, pour un non, lorsque personne ne s’y attend et que celle qui les redoute vit en permanence avec l’angoisse de devenir folle un jour ou l’autre.
    Nonchalamment Julie se dirige vers le guichet Air France et Damien se tient à ses côtés ne sachant que faire. Lui dire au revoir tout de suite ou l’accompagner jusqu’à la dernière limite autorisée ? D’autres pères doivent visiblement faire face au même dilemme.
    Soudain le stewart annonce aux accompagnateurs qu’ils peuvent suivre le groupe des jeunes voyageurs. Pendant ce court trajet labyrinthique les menant devant une porte vitrée à ouverture automatique chacun reste dans son monde, avec une boule dans la gorge ou un nœud au cœur ou des frissons dans tout le corps ou des picotements jusque dans les joues.
    Chacun embrasse sa progéniture puis la laisse s’éloigner sans la quitter des yeux. Il ne reste alors – au moment où la porte se referme - que l’ombre d’un avion qui décolle coincé dans le regard perdu de ces hommes abandonnés par leur enfant soudain devenu grand en l’espace d’une seconde.
    (Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour)
     
     
     
     
     
     
     
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