• La maison des mouches (extrait n°5)

     

     

     

    Tiens, en voilà une à l’agonie : elle est moins vigoureuse, se passe les pattes sur les ailes, comme si elle venait de recevoir une grosse dose d’insecticide sur le dos et qu’elle essayait de se l’ôter. Peut-être vient-elle de naître ? Le nouveau-né a bien des comportements et des traits physiques semblables à ceux du vieillard. Je suis sûr qu’il doit y avoir les mêmes similitudes dans le règne des mouches.

    Elle reste sur la vitre de la fenêtre et continue à s’ébrouer comme si de rien n’était. Son corps se lève et redescend, ses ailes sont immobiles puis d’un seul coup, elle avance et s’y reprend en quatre fois pour parcourir une distance d’à peine vingt centimètres. Une seconde vient la chatouiller puis s’envole un peu abasourdie laissant derrière elle l’autre toute excitée. Une véritable course-poursuite s’engage. Elles se déplacent de manière identique, font les mêmes grandes boucles dans l’air, comme deux cerfs-volants attachés l’un à l’autre et qui, dans le ciel, exécutent, côte à côte, les mêmes figures abracadabrantes. La chambre est pourtant assez grande, mais elles préfèrent se poursuivre, dans un coin, près du lit, sans jamais se cogner contre les murs.

    Soudain l’une des deux abandonne en virant complètement à droite alors que l’autre s’engage à gauche. On dirait que le fil reliant les deux cerfs-volants vient de céder et qu’ils sont maintenant indépendants l’un et l’autre. La pourchassée a retrouvé sa vitre et l’excitée s’est posée sur la lampe de chevet. Elles n’ont plus rien à voir l’une avec l’autre ; ce sont deux mouches différentes et elles continuent pourtant de m’intéresser.

    Avec des ailes, je ne resterais pas sur une lampe de chevet et encore moins sur une vitre, je volerais, j’irais loin, même fatigué, je me décontracterais en battant des ailes, mais je ne poserais jamais plus les pattes au sol. Si je n’en pouvais vraiment plus, je m’arrêterais en haut d’une colline ou d’un grand arbre, et j’observerais les grouillements humains. Puis je m’élancerais dans le vide à toute allure pour venir raser la tête des hommes et remonterais ensuite vers des tours encore plus hautes et je n’arrêterais pas.

    Quand je pense qu’il va falloir qu’on se mette au travail dans une semaine, je suis déjà fatigué. Sophie a prévu qu’on fasse une isolation phonique dans les deux pièces du haut. Elle s’en charge normalement mais à chaque fois je suis quand même obligé de mettre la main à la pâte. Je ne me vois pas la laisser bosser après son travail, et moi, tout seul dans la chambre avec mes mouches. Elle le prendrait mal. Je sais qu’elle adore bricoler, mais ce n’est pas une raison pour que je ne l’aide jamais, sous prétexte que ce n’est pas mon truc.

     

     

     

     

     

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