• La maison des mouches (extrait n°6)

     

     

    Normalement, si j’ai bien compris ses explications, on devrait poser une couche d’isolant par terre et la recouvrir ensuite d’un autre parquet flottant. D’après elle, l’isolation ne sera pas parfaite, mais ce sera largement mieux qu’avant. Les travaux ne devraient pas durer plus d’une semaine. Je la trouve très optimiste. Le temps de transporter les meubles de chaque pièce, de les poser et de les remettre ensuite dans leur lieu d’origine, ça va être long. Le pire, c’est quand on attaquera notre chambre. Je sais déjà à l’avance que je ne pourrai pas y travailler pendant au moins trois jours, si on va vite, plus le coup de main pour l’autre pièce, faut compter une semaine sans mouches. J’espère que je vais pouvoir tenir aussi longtemps ; que je n’installerai pas mon laboratoire secret dans une autre pièce. Il faut que je considère cette semaine de bricolage comme des vacances forcées. Après, je pars en reportage dans le sud. Je dois y rester trois, quatre jours. Il faudra donc que je me passe des mouches pendant deux semaines. J’en profiterai pour entreprendre un grand tri dans mes affaires ; j’ai tellement de mal à m’y retrouver.

    J’aimerais que mon travail aboutisse à des trouvailles concrètes, que les scientifiques s’en servent ou les éthologues, pourquoi pas. Si tout simplement il devenait un livre personnel, je serais également très content. La plus grosse œuvre entreprise sur des mouches domestiques par un vrai néophyte, voilà un sujet qui n’intéresse personne et que j’aimerais voir publié. Si jamais cela arrivait un jour, alors on pourrait dire que le monde de l’édition a totalement changé.

    J’ai remarqué que depuis que je m’intéresse à ces drôles d’insectes, j’ai parfois du mal à écouter ce qu’on me dit dès que je sens qu’il y en a un dans les parages. Mon attention se déplace étrangement vers la bête ailée et je n’arrive pas à résister. Comme si le fait qu’elle soit là en même temps que moi, me rendait dépendant de sa présence. Bien sûr ce n’est pas systématique, mais je crains que cela le devienne. Il va falloir que je sois vigilant.

    Leur insouciance me plaît. Elles vont de lieu en lieu, de corps en corps, de lumière en lumière par instinct. La légèreté les guide. Elles sont seules ou en bande et repartent toujours sans vraiment s’installer quelque part. Ce sont des insectes nomades : ils perdent vite le nid d’où ils viennent. Leur courte vie se limite certainement à une recherche impossible de la mère pondeuse. Elles retrouvent dans les hommes qu’elles agrippent le souvenir du contact maternel oublié. Elles sont nées sans histoire et meurent inconnues, aspirées, piétinées, balayées, déchiquetées, écrasées, empoisonnées, brûlées, décapitées, défenestrées, dépecées, noyées, avalées, torturées, mais aussi naturellement dans la plus grande indifférence.

     

     

     

     

     

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