• La profondeur n'est pas celle que l'on croit.

     

    Enfant, ce fut l’impétigo qui me causa de pénibles picotements. J’arrachais mes croûtes sur le visage et forcément, je contaminais par la même occasion les régions saines. Notre médecin de famille n’avait pas su diagnostiquer la maladie et donc la traiter efficacement. Pendant ce temps, je me grattais comme un fou, infectant sur mon passage les draps, le lavabo, les serviettes et autres ustensiles domestiques que la famille pouvait, à un moment ou à un autre de la journée, toucher derrière moi.

    J’avais honte de sortir ; les pommades que je me mettais ne me soulageaient pas ; j’étais un enfant bariolé d’ampoules inhumaines, avec un drôle de liquide jaune paille qui suintait sous elles, grossissant de jour en jour et couvrant sans aucun complexe la surface de mes deux joues. Il fallut que je fusse hospitalisé en urgence au service de dermatologie du CHU de Reims pour que le professeur Tison – je me souviendrai toujours de son nom – comprît immédiatement que je contractais un impétigo qui avait déjà entraîné de profondes ulcérations un peu partout sur mon cuir chevelu et près des narines. Je n’avais ni la teigne, ni la varicelle, comme le pensait notre généraliste.

     J’ai encore des images de la salle où j’avais été accueilli par l’interne et des paroles peu rassurantes que le professeur avait prononcées, suite à mon auscultation. C’est une infection très contagieuse, avait-il précisé au futur spécialiste à ses côtés. Ce dernier, n’avait apparemment jamais vu un cas aussi sévère. Très intéressant, avait-il continué, parce qu’il n’a pas été traité à temps. Je vous explique ; vous avez là l’exemple type de ce qu’il ne faut pas faire quand vous diagnostiquez un impétigo chez un enfant. Et moi, je tremblais intérieurement ; devenu un phénomène, après avoir été pendant plusieurs dizaines de jours un enfant multicolore - à cause d’onctions en tout genre et de lotions diverses et colorées étalées sur ma peau abîmée - , je pensais que je ne m’en sortirais pas ; que j’allais devoir rester à l’hôpital en quarantaine, vu la gravité de ma maladie. J’eus peur de ne plus retrouver ma carnation naturelle ; de vieillir recouvert de marques polychromes et de crevasses indélébiles. Tout juste bon à être exposé dans des cirques et autres fêtes foraines, parmi des monstres tout aussi – voire plus – répugnants que moi, pensais-je dans mon for intérieur. 

    J’ai grandi avec la hantise de rester monstrueux  jusqu’à la fin de mes jours. L’épisode de l’impétigo y est pour beaucoup. C’est maintenant que je m’en aperçois, au moment où toutes ces angoisses d’homme attaché à son aspect physique et ses apparences d’être beau et séduisant  me quittent peu à peu.

     Je suis comme un vieux fantôme perdu dans  d’immenses couloirs, incapable de rejoindre le moindre château.

     

    L’horizon est vertical quand on se retrouve seul dans l’obscurité. Buter contre un mur c’est rebondir sur un repère. Puis parfois, plus rien ne touche l’extrémité de mes mains tendues devant moi. Chaque pas avancé est un peu de lumière attrapée. Et pourtant, en campant là, c’est l’inverse : je m’enracine en même temps que mes espoirs sont retenus. J’ai besoin qu’ils se posent  et qu’ils grandissent. Courir dans tous les sens – ou tourner en rond -  fausse et brouille les pistes d’accès à la sérénité, la clairvoyance, la simplicité, l’efficacité et à mon épanouissement. Je l’ai récemment découvert. La profondeur n’est pas celle que je croyais. Tant que je m’obstinais à ne pas le reconnaître, je me perdais dans les méandres de mes tourments. 

    (Extrait d'une fiction inédite Au fond )

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  • Commentaires

    1
    marie-philippe
    Vendredi 5 Avril 2019 à 07:08

    Magnifique...

     

      • Vendredi 5 Avril 2019 à 07:12

        Merci, Marie-Philippe. L'obscurité m'inspire beaucoup, elle est propice aux fulgurance et aux moments féconds dont vous m'avez parlé. 

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