• Les voyages et les trains

     

     

     

    J'ai parfois du mal à trouver les mots pour dire le vertige que j'éprouve à la seule évocation de mon enfance. C'est comme s'il fallait que je calme des tentations anarchiques sur le point de chambouler mes certitudes un peu mal maîtrisées.

    Mon premier voyage en micheline avec mémère – comme je le disais tout à l’heure - fut une expérience qui me marqua à l’époque. Elle me lut des histoires tout le long du trajet, ou presque, pendant que je dévorais les sandwiches qu’elle m’avait préparés. Je l'écoutais tout en regardant les arbres défiler derrière ma vitre.  Ça sentait le chaud dans le wagon, mais ce n'était pas désagréable. Ça allait bien avec mon bonheur. Dès que le train s'arrêtait, je devenais bizarrement moins gai. Puis il repartait et ma joie revenait. J'aurais bien voyagé toute ma vie avec mémère. J'étais au soleil et à l'ombre en même temps. Je changeais de banquette quand ça tapait trop fort et mémère me suivait pour être à mes côtés. Nous nous amusions à occuper toutes les places vides dans le compartiment.

    Les histoires qu'elle me raconta pendant cette longue odyssée me plaisaient, mais je suis sûr que si elle me les avait narrées autre part que dans le train, elles ne m'auraient pas autant intéressé. Et ce bruit que j'entends encore : il berçait ma crispation sans que je le sache.

    Je crois que c'est dans ce train que je rêvai le plus longtemps les yeux ouverts. Je n'avais pas voulu m'endormir la première fois. Je n'avais pas voulu perdre une seule miette de cet incroyable périple.

    Je détaillai à Florence mes émotions dès que je la revis. Elle m’écouta du début à la fin. Je revois encore ses yeux pétiller de joie à l’écoute de mon récit extraordinaire. Du coup, la fois d'après c'est elle qui fit le voyage de chez nous jusque chez mémère avec mon père. Elle eut les mêmes sensations que moi. Enfin, nous venions de nous rejoindre sur un point. Moi qui croyais que ma soeur n'était sensible à rien, je m’étais trompé.

    Puis, petit à petit, je m’habituai au train. À chaque fois que je le prenais, c'était pour une raison particulière. Les voyages perdirent de leur charme à partir de ce moment-là et j’appris par la même occasion à ne plus les aimer parce qu'ils n'étaient plus ceux que j'avais connus dans la micheline de mes sept huit ans. Je rêve de devenir à nouveau le vrai voyageur que j'étais : celui qui n'avait pas besoin de connaître sa destination pour aimer partir.

     

    Lorsque à la gare, j'allais avec mon père chercher mon oncle, j'étais aussi heureux que quand je prenais la micheline avec mémère. Pourtant, là je ne partais pas. J'entendais, Le train en provenance de Paris va entrer en gare. Eloignez-vous de la bordure du quai, s’il vous plaît, et je sentais que j'étais heureux. Je regardais tous les wagons pour voir si tonton ne me faisait pas signe bonjour à la fenêtre. Dès que le train s’immobilisait, je ne savais plus où donner de la tête. Je regardais à droite, à gauche, devant moi. Je voulais le voir descendre de sa voiture, une valise à la main. Une fois sur le quai, il nous trouvait, lui, et affichait un large sourire. Je l’embrassais pour lui dire bonjour ; il sentait le voyage sur les joues

    J'adorais qu’il nous rende visite et qu’il reste à la maison plusieurs jours. J'appréhendais de le voir préparer son sac : je comprenais que l’heure du départ était proche. Jamais je ne le raccompagnais jusqu'à la gare : je ne voulais pas pleurer devant mon père ; il m'aurait pris pour une fille et ça m'aurait fait rougir. Tonton venait tellement peu souvent et il était si gentil. C'est Florence qui y allait. Elle, son départ ne la touchait pas. En tout cas, elle ne le montrait pas.

    Tonton Gilbert ne faisait rien d'exceptionnel avec nous, mais je ne sais pas, sa seule présence sentait le voyage, et moi j'aimais ces senteurs-là, petit. Je croyais qu’il ne se déplaçait qu’en train, qu'il allait chez des gens toujours nouveaux et qu'il repartait comme il était venu, en apportant avec lui son parfum. Même s’il n'avait rien d'exotique, son eau de toilette, elle, l’était. Je crois que c'est le parfum de l'eau de toilette qu'il utilisait qui évoquait les voyages pour moi.

     

    Je me disais que plus tard je serais comme tonton Gilbert. Il avait toujours une brosse à dents dans sa poche et un petit crayon de papier coincé dans le ressort d'un calepin. Je ne réussis jamais à lire ce qu'il y écrivait. C'est tout ça qui me plaisait chez lui. Dès que je lui parlais de mes bêtes et de mon laboratoire, il avait l'air tellement intéressé. Il m'écoutait aussi sérieusement que si c’était mon père ou ma mère qui lui parlaient. Pour lui, il n’y avait pas de différence : j'étais un grand comme eux.

     

     

     

     

     

    Blogmarks

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :