• Petite histoire du dimanche

     

     Le malaise que m’inspiraient jadis les églises ne m’a jamais quitté. Pourquoi ? Cela serait trop long à expliquer. Je préfère vous raconter cette histoire qui ce matin brusquement me revient en mémoire.

    C’était un samedi en fin de matinée. Il faisait déjà très chaud. La journée s’annonçait une nouvelle fois caniculaire. Francine et Edmond mariaient leur fille cadette, Astrid. Il y avait énormément de monde sur le parvis de l’église. On attendait les jeunes mariés d’un moment à l’autre. Ils n’allaient pas tarder. Le maire les avait retenus un petit peu plus longtemps : il tenait à féliciter personnellement le couple. Tous les deux avaient été ses élèves à l’école du village d’à côté, il y a plus de vingt ans.

    Au moment où ils arrivèrent, main dans la main, Edmond prit le relais. Le protocole était prévu ainsi. La mariée devait entrer à l’église au bras de son père suivie du reste du cortège. Lou, la sœur aînée d’Astrid était même présente – elle venait d’accoucher il y a à peine deux semaines - accompagnée de son mari,  Samuel et de leur fils Léo, confortablement installé dans sa poussette flambant neuve. Au moment où les cloches sonnèrent pour annoncer le début de la cérémonie, il restait encore quelques personnes dehors. Elles avançaient lentement à cause du petit embouteillage que la ruée provoqua. La famille était grande, les amis nombreux et les voisins aussi. L’église, quant à elle, était assez petite, d’où ce ralentissement prévisible dès le départ.

    Le temps que l’assemblée trouve sa place, au milieu des toux, bruits de chaises, reniflements divers, cris d’enfants et chuchotements d’adultes, la messe allait bientôt être donnée. Le curé, dans son habit de pape, attendait tranquillement debout devant son autel, les mains croisées sur le ventre, un large sourire aux lèvres. Les mariés étaient au premier rang. Derrière se trouvaient les parents aux côtés de Lou, Samuel et du bébé dans son landau placé à la droite de l’allée centrale. La fraîcheur de l’église semblait faire du bien à tout le monde. Certaines personnes plus âgées s’essuyaient le front à l’aide de leur beau mouchoir blanc. La chaleur semblait les affecter davantage.

    Peu de temps après que le prêtre commença à chanter, les yeux levés au ciel, les bras tendus vers la porte de l’église, les mains ouvertes et placées légèrement au-dessus de la tête, en signe d’accueil dans la maison de dieu, les choristes et la joueuse d’harmonium enchaînèrent. Puis ce fut le tour d’une partie de l’église - principalement composée des paroissiens habitués à venir à la messe le dimanche. L’émotion était au rendez-vous. Francine en avait la chair de poule. Edmond quant à lui n’était pas loin de verser sa petite larme d’émotion. Lou aussi d’ailleurs. Au moment où ils reprirent tous en chœur le refrain de la chanson « Que tes œuvres sont belles », elle serra très fort la main de Samuel et le regarda du coin de l’œil, un léger sourire aux lèvres. Il lui répondit par ce même sourire témoin de la gêne qu’occasionne parfois l’émotion partagée.

    C’était vraiment la première longue sortie officielle de Léo. Jusque-là, à cause de la canicule, et de son jeune âge, Lou n’avait pas voulu tenter le diable. Elle avait préféré promener son fils le soir quand la chaleur était vraiment moins pénible pour lui. Mais ce jour-là, pour le mariage de sa sœur, elle fit une exception et cela surprit toute la famille. Il était sur le ventre en grenouillère, un léger drap blanc posé sur lui, avec des deux côtés de la tête ses deux petits poings bien fermés. Cette position avait le don d’attendrir ses parents. Souvent, ils restaient dans sa chambre juste après l’avoir couché pour le regarder s’endormir ainsi.

    L’assemblée, à quelques exceptions près, se leva pour une nouvelle prière.

    La voix du prêtre résonnait terriblement au milieu du silence providentiel de l’église. Chaque parole dite semblait longuement réfléchie. Il s’adressait aux jeunes mariés comme s’il n’y avait qu’eux en face de lui. C’était très spécial. Pendant ce temps, Lou guettait d’un œil averti son enfant en train de dormir profondément, impassible, malgré l’écho de la voix ténébreuse du curé.

    Puis d’un seul coup, sur la pointe des pieds, discrètement, elle quitta l’église en poussant le landau, suivi de son mari.

    Comme au bout de dix minutes ils ne revinrent toujours pas, Fancine sortit également. Puis quelques minutes plus tard elle réapparut, mais sans ses enfants, au milieu des paroles de « Proclamez que le Seigneur est bon » chantées à tue-tête par la quasi-totalité des gens présents. Elle s’installa à sa place comme si de rien n’était, tranquillement, et se mit elle aussi à chanter avec son mari, un sourire aux lèvres. Inquiet, ce dernier aurait voulu connaître la raison du départ de ses enfants, mais il prenait tellement de plaisir à chanter avec les autres qu’il ne parvint pas à s’arrêter pour savoir ce qui s’était passé.

     

     

    C’est bien plus tard, dans la presse locale, qu’on apprit la nouvelle. Le neveu de la jeune mariée était décédé d’une mort subite du nourrisson.

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 10 Janvier 2016 à 10:01

    Du samedi ou du dimanche les petites histoires peuvent être parfois bien cruelles...
    Merci Thierry...Un bien beau mariage...^^

     

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