• Tableaux d'une autre vie (13)

     

     

    Chez eux, j’étais comme un roi. Les tourterelles me réveillaient tous les matins avec leurs roucoulements musicaux que j’interprétais comme l’annonce d’une journée ensoleillée. J’étais heureux ; je ne pensais jamais qu'un jour je deviendrais un adulte – contrairement à ce qui passait à la maison où j’étais obnubilé par cette crainte de grandir. Chez mes grands-parents, le soleil brillait toujours. Je me baladais torse nu du matin au soir. Je n'éprouvais aucune honte à exposer mes bourrelets, même si mon ventre tremblotait dès que je courais afin d’échapper aux Indiens. On m'appelait par mon prénom là-bas. J'aurais aimé aller à l'école dans le village de mes grands-parents : les jeunes indigènes de mon âge y étaient moins méchants ; ils me prenaient comme j'étais ; on s'écrivait le reste de l’année, après les grandes vacances. Nous nous rappelions les bêtises que nous avions faites ensemble, pendant l'été. Je relisais toutes mes lettres dix ou quinze fois avant de les ranger dans un album. C'étaient les seuls écrits que j'aimais lire, à part mon encyclopédie et mes livres de sciences naturelles. Je répondais toujours après mes quinze relectures et  le soir même l’enveloppe était prête à être postée. Eux, mettaient plus de temps. Je faisais pourtant exprès de poser des questions. Dès que j’entendais le facteur arriver, j'accourrais. C'était rare quand il y avait du courrier pour moi. Alors j'écrivais à nouveau. Ils me répondaient deux mois après. Pour eux, ce n'était peut-être pas important, les lettres. Pour moi, c’était différent.

    Longtemps je m’envoyai des missives complètement idiotes dans lesquelles je me demandais de mes nouvelles. Je reconnaissais tout de suite mon écriture dans la boîte aux lettres. Une fois que je l’avais entre les mains, le charme des correspondances disparaissait. Je me lassai de ces niaiseries assez tardivement dans mon enfance. Parfois, je trouvais que je n'étais pas net ; je me mettais à la place de ma sœur : ça ne devait pas être drôle tous les jours d’avoir un frère comme moi, de subir ses obsessions existentielles à longueur de temps. Je comprends qu'elle trouvait mes propositions de jeux pas très intéressantes. J'aurais tellement voulu m’amuser comme certains de  mes camarades paisiblement installés devant des pièces de puzzle avec une image à reconstruire ou assis sur le canapé à regarder pendant des heures les émissions pour enfants à la télé les mercredis après-midi. J'avais du mal à me concentrer plus de trente minutes sur une même occupation. Je me lassais assez vite des activités ludiques communément proposées aux enfants de mon âge : au bout d'un certain temps, mon esprit partait ailleurs et mes obsessions revenaient.

     

     

    Un jour, je fus soudain intrigué par les mamelles des vaches. Les voir comme ça, énormes, pendre nonchalamment sous leur ventre me donnèrent envie de les palper. Je n’arrêtais pas de les regarder tout en jouant et puis au bout d'un certain temps, je décrochai. Le jeu m’apparut soudain futile par rapport à ces fantastiques trayons. Mes amis n'auraient rien compris si en plein milieu d'une guerre sérieuse je leur avais dit,  Pouce, si on allait toucher le pis des vaches là-bas ? Ils m'auraient ri au nez. Je restai avec mon désir qui réapparut lorsqu’un troupeau passa devant la maison de ma grand-mère. Les fermiers les rentraient à l'étable de temps en temps. J'adorais voir se balancer leurs grosses poitrines que j'imaginais chaudes et douces. Sentir sous ma petite main potelée leurs mamelles bien fermes m'envahir d'un plaisir mystérieux resta un fantasme inavouable.

     

     

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