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Forcément si je continue ainsi, je commence à percevoir, dans les évocations de mon enfance, des éclusiers vêtus de bleus de travail avec la casquette du même bleu, tachée à la base de la visière d’une auréole formée par la transpiration du crâne. Je les aperçois dans leur petite écluse, souvent seuls, attablés devant leur télé à regarder les infos tout en mangeant de la charcuterie et du pain croustillant. L’arrivée d’une péniche les perturbe dans leur sieste. Dès qu’elle repart, ils se remettent à leur table de cuisine, à feuilleter le journal local et à s’assoupir à nouveau, près du niveau du canal, tremblotant encore un peu après les remous provoqués par la masse de l’engin et les gaz de son moteur.
On m’avait raconté qu’ils gagnaient bien leur vie les éclusiers, ils n’avaient pas un travail très fatiguant et pourtant ils avaient souvent le visage marqué. Leur voiture était toujours propre et bien rangée au garage pour ne pas qu’elle prenne la poussière blanche du chemin de halage. Ils me faisaient penser à des nains, complètement coupés du monde, dans une petite vie qu’ils avaient choisie, parce que, m’avait-on raconté, c’était la planque d’être éclusier. Vers la fin de l’extinction de la profession et jusqu’à ce que les derniers partent en retraite, seules quatre péniches passaient tous les jours. C’était encore plus la planque.
Mais aussi avec les éclusiers, il y avait les bateliers. Parfois après avoir passé l’écluse, ils se stationnaient un peu plus loin et laissaient leurs enfants se baigner dans le canal pendant les périodes de canicule. Ils étaient souvent blancs comme des linges, venaient de Belgique ou des Pays Bas. Pendant qu’un des parents prenait son vélo pour aller faire une course dans le village d’à côté, l’autre parent restait bien sage à surveiller la baignade de ses ouailles.
Le temps s’écoulait lentement près des écluses. Il suffisait qu’une voiture se pointe – même si elle ne roulait pas spécialement à vive allure, le facteur, le boulanger, le boucher ou autre - et une poussière épaisse se dégageait très vite après son passage. C’étaient comme des coups d’accélérateur donnés à la lenteur des battements du cœur de l’écluse.
2 commentaires -
je me demande si ça peut suffire
d’avoir eu la fève
le jour de la galette des rois
et d’être sacré roi de la poésie
par son fils de cinq ans
parce que j’avais déjà écrit
un ou deux poèmes comme ça
à sa mère et que je ne savais
pas quoi répondre à sa question
t’es le roi de quoi toi papa
pour l’être vraiment
on sait pas comment ça vient
la couronne sur la tête
tout ce que je peux dire c’est
que c’est mon premier vrai poème
que ça arrive sans doute sans explication
l’envie d’écrire
par les gens qu’on aime :
ils font de nous des rois de je ne sais quoi
des rois gentils
des rois sans aucun pouvoir
que celui d’hésiter lentement
au quotidien
entre le sens et le son
pour dire qui ils sont.
si les tours de manège pouvaient définitivement
laver ma tête tachée de toi
j’arrêterais d’être forain
jour après jour
je regarderais les manèges autrement
avec les yeux d’un enfant
surpuissant dans son auto
conduite sans permis
rien qu’à la force de son émerveillement
j’en finirais avec mes remarques
mes jugements sur ta vie
pour qui je me prends
après tout
ce serait tellement plus simple sans les sentiments
on n’aurait plus besoin de parler
on suivrait chacun son instinct
toi tu repartirais dans tes jeux
et moi je m’en foutrais
je te regarderais aller en prison
comme un chien
laisse filer son maître
avec des chaînes bloquant les larmes
oui comme un chien
je n’aurais plus de cœur
que des poils sur l’existence
un truc comme ça
quand je pense à toi
je ne peux m’empêcher
de vouloir jouer au grand frère
alors que c’est peut-être pas comme ça
qu’il faut vivre ensemble
faudrait que j’essaie
d’oublier que t’es mon frère
pour que mon manège tourne autrement
devant ma tête vissée sur un côté de ta vie
celle que t’arrives pas à redresser
j’ignorais qu’en étant forain
je deviendrais poète
qu’est-ce qui fait que les mots ont pris
dans une forme qui m’échappe
et que je retrouve avec frénésie
et plaisir tous les jours
dans ma cahute
de voyageur ?
le goût de l’ordre intérieur
du ménage des méninges
des voies dégagées pour pouvoir circuler ?
seul l’inconnu ne sait pas
le manège des mystères
en habits du dimanche
car il brouille les pistes du bonheur
j’ignorais qu’avoir un frère
pouvait à ce point encombrer mon cœur
je croyais qu’une fois séparés
nous aurions trouvé nos chemins
mais il faut toujours que je sois
un guide pour lui
alors que je ne sais pas où je vais
je ne voudrais pas l’entraîner là où il ne faut pas
et pourtant il y va
sans que je connaisse l’endroit
ou du moins sans que je veuille le regarder
en face droit dans les yeux du cœur
j’espère au fond un attentat dans
tous les casinos de France
faisant partir avec la bombe
les roulettes les cartes les jetons
du malheur
et qu’il retrouve la raison
humblement
doucement
sans problème
que tout redevienne comme avant
le premier jour où il a tout perdu
le premier jour où j’ai épongé ses dettes
le premier jour où il m’a promis
le premier jour où j’ai su
que j’étais impuissant
face à ses débordements
je ne sais pas comment on appelle
ce sentiment qui n’est
ni de l’amour
ni de la haine
ni de l’amitié
que j’éprouve pour lui mon frère
mais je peux dire que ça ressemble
à quelque chose de coincé entre un manège en marche
et une immense table de jeu où il ne resterait plus que moi
à jouer à faire tourner le manège
et que je ne pourrais rien arrêter
alors j’imagine
les roulements
dans une partie de lui-même
grinçant
les étoiles en poudre de nuit
sans répit pleuvant
crachant à longueur de journée
des nuages agglutinés au-dessus
de ma tête
que j’essaie de chasser coûte que coûte
mais impossible
c’est ça ce sentiment bizarre que
j’éprouve pour lui
un mélange de titillation
et d’intempéries en train
de marteler mes côtes
et de dézinguer mes songes
nous habitons dans des prisons différentes
faut pas croire desquelles nous nous gueulons
dessus
jusque tard dans la nuit
que nous sommes innocents
c’est comme ça qu’on parle
quand on est enfermé
et que la langue n’a plus que ces mots-là
pour vomir sa haine
mais nous ne nous comprenons pas
le désespoir est personnel
le besoin de liberté aussi
alors j’apprends à oublier en travaillant
en aimant en parlant en écrivant
mais faut toujours qu’il revienne
pour une mauvaise nouvelle
un chèque à faire
une facture à régler
comme si je ne servais plus qu’à ça
à boucher des trous de folie
à passer la serpillière sur le carrelage
sali par ses rêves pourris
à tendre le dos jusqu’à la prochaine fois
à espérer sans trop y croire
qu’un jour il finira bien par se dégoûter
qu’un jour il trouvera quelqu’un qui l’aime
et que le goût du jeu
il le perdra dans son amour
Extrait du Manège, édition du Zaporogue en téléchargement gratuit
http://www.lulu.com/fr/fr/shop/thierry-radi%C3%A8re/le-man%C3%A8ge/ebook/product-20089951.html
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à l’origine il y a cette médiathèque
avec ses grandes baies vitrées
donnant sur le port en adoucissant
les livres graves que j’ai choisis
ce soir avec ma femme
assis sur un fauteuil les couleurs
sous mes fesses ressemblent aux
soleils peints dans des tableaux
dont j’ignore l’existence
un bateau traverse ma mémoire
et puis j’entends le murmure
de sa voix hongroise trembler
dans mon sexe la poitrine tendue
vers un pays imaginaire dégrafé
aux frontières et guindé pour du beurre
ces tonnes de routes partant d’imaginaires
inconnus rejoignent en silence ma tête
concentrée d’homme boiteux en arrêt
content de sentir des bibliothèques dans
son dos avec sa femme en papillon
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Ils sont dans les starting blocks, les lascars, et ils ont raison. Sortie de leur deuxième album Genuine feelings le mois prochain. Une longue tournée en France et en Belgique va suivre juste après. Bonne chance à ces six jeunes rockers nantais.
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"Et si l'inutilité, la gratuité, le don, l'insouciance, le plaisir, la recherche désintéressée, la poésie hasardeuse engendraient de la valeur ? Et si les marchands dépendaient - ô combien ! - des poètes ? Et si la fourmi n'était rien sans la cigale ? Voici venu le temps d'affirmer, contre les économistes, que l'inutile crée de l'utilité, que la gratuité crée de la richesse, que l'intérêt ne peut exister sans le désintéressement." Bernard Maris
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