• De l'aveu au sourire.

    - Moi je ferai comme toi plus tard.

    Juste après lui avoir avoué son rêve, Thomas changea de conversation - tel un amoureux honteux, déclarant soudainement sa flamme à une inconnue, surprise. Cela troubla Marceau : il ne s'y attendait absolument pas. Il était visiblement touché. C'est la première fois qu'il entendait une chose pareille dans la bouche d'un enfant. Son métier n'était pas aussi déplaisant qu'il le pensait, la preuve, son neveu voulait l'apprendre et il venait de le lui déclarer.

    Il savait que lorsque Thomas lui disait quelque chose, c'était toujours sincère et longuement réfléchi. Mais d'un autre côté, il ignorait qu'il aimait en rajouter, que c'était un flatteur malgré lui. Marceau était  sensible à toutes les flatteries. L'aveu de Thomas ne lui était pourtant pas adressé personnellement, mais il fut toutefois séduit par la spontanéité avec laquelle son neveu l’avait exprimé. Comme il adorait son métier mais qu'il n'aimait pas l'avouer aux autres, il était à chaque fois ravi d'entendre quelqu'un - et encore plus un enfant de dix ans - lui confier qu'il voulait exercer la même profession que lui. En réalité, si Thomas commençait à prendre goût au métier de boucher-charcutier, c'était un peu grâce à son oncle. Il sentait que celui-ci était lié corps et âme à la viande, qu'il ne pouvait pas faire autre chose, maintenant qu'il l'avait vu parler aux clients.

     

    En boulanger-pâtissier, il aurait eu un autre teint. Ses cheveux enfarinés auraient détonné avec sa mine rougeaude. Il aurait eu alors une allure de clown. Ses mains sucrées et huileuses n'auraient pas connu le malaxage des viandes froides et alcoolisées, destinées aux pâtés en croûte qu'il aurait, lui aussi, été fier de vendre avec les pâtissiers d'Attigny. Il n'était pas fait pour le commerce du pain, chaudement pétri dans le confinement d'un espace étouffant et enfumé. Il était fait pour travailler dans le froid de son laboratoire, et respirer l'odeur de sa vitrine. Il était fait pour vendre du boudin noir aux clients impotents incapables de se déplacer, mais toujours prêts à en manger encore - quand la saison le permettait, bien sûr. Il était fait pour barder les rosbifs que le client lui demandait de préparer sur-le-champ.

    Les croissants, les pains au chocolat et ceux aux raisins n'avaient rien à voir avec sa nature concupiscente, attirée par le toucher des viandes qu'il semblait si bien connaître. Combien d’heures de pratique avait-il derrière lui pour être aussi brillant sur le terrain de la vente ? Il ne se rendait pas compte que son amour pour la viande transparaissait dans ses gestes coulants et rapides que les couteaux dans sa main ne faisaient qu'accentuer. Il y avait, dans sa manière de couper le jambon d'Ardenne, un frôlement de la paume de sa main avec la lame de la machine à trancher aussi risqué qu'un virage pris à toute vitesse sur une route qui ne signale pas le danger.

    Thomas avait enregistré des scènes qu’il se repassait intérieurement. Marceau ignorait jusqu'à quel point son neveu était fasciné par sa dextérité et son adresse. Il ignorait que c'est pour cette raison qu'il lui avait soudainement déclaré son amour pour son métier. Parce qu'il venait de repenser à la vitesse à laquelle il avait découpé les quinze biftecks dans le rond que la femme avait demandés pour ses chiens. Il fallait avoir une sacrée expérience pour manier le couteau avec autant d'assurance et d'efficacité. À moins que Marceau fût loubard dans son jeune temps et qu'il apprît à se servir de son arme blanche dans des bagarres qu'il avait certainement oubliées depuis. C'était impossible, pour un patron, d'apprendre à son jeune apprenti à manipuler aussi bien le couteau. Son oncle était doué, c’est tout. Il n’y avait aucune autre explication possible.

     

    Marceau regarda Thomas. Celui-ci se demanda pourquoi son oncle le fixait avec autant d'insistance. Il devina soudainement qu’il allait le complimenter, puisque aussitôt après, ses yeux se plissèrent et de sa bouche – en temps normal, mince et petite - s’échappa un large et ravissant sourire. 

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