• En équilibre constant 4

     

     

    Dans un an je pourrai voter et pour l’instant je suis comme mon père, dans l’embarras. Pourtant, je finirai par me décider, contrairement à lui : à mon âge, il était plus anarchiste qu’autre chose - plus par désir anticonformiste, d’ailleurs, que par choix idéologique, même s’il me répète souvent que pour lui l’anarchie, c’est l’expression politique du désespoir.

    On en a eu des discussions ensemble mais je ne sais pas pourquoi, j’ai parfois l’impression qu’il me cache des choses ; qu’il veut m’épargner certains détails de sa vie d’adolescent. C’est pourtant bien elle qui m’intéresse.

    Et ces conneries dont il parle, quelles sont-elles vraiment ? Je n’ose pas les lui demander ; j’attends qu’il me les dévoile un jour de son propre chef. Comment faire pour accélérer sa décision de passer aux aveux ? Il faudrait que je demande à mes potes si eux aussi ils sont comme moi : à vouloir connaître clairement l’adolescence de leurs parents. Au fond, je suis persuadé que la musique que j’aime – d’ailleurs incroyablement très proche de celle que papa écoutait à mon âge - agit comme un accélérateur sur ses prises de décision quant aux confidences que j’attends de lui. J’ai remarqué qu’il était plus loquace une fois qu’on avait partagé ensemble l’écoute de plusieurs morceaux de musique qu’on adore tous les deux. Bizarrement, la musique dénoue sa langue. Grâce à elle, j’entrevois un peu plus une partie de son passé. Les accords qui s’enchaînent font vibrer dans sa mémoire des moments qu’il croyait disparus à jamais. Poignardé en plein cœur, il ne parvient jamais à mourir discrètement. C’est étrange mais dans ces moments-là, j’ai l’impression d’assister à une lente mise à mort que seule l’évocation de ses souvenirs évite de justesse. On dirait qu’il ne veut plus jamais écouter de musique seul par peur de se perdre malgré lui. Le pouvoir de la musique a chez mon père des vertus qu’il ne soupçonnait pas, j’en suis certain. Si ce n’était pas le cas, pourquoi n’en écoute-t-il plus maintenant ? Moi je ne peux pas m’en passer. Il faut toujours que je télécharge de nouveaux morceaux, que j’écoute et réécoute les mêmes chansons sans jamais m’en lasser. Il paraît qu’un jour, j’en aurai marre ; que je passerai à une autre musique. Mon père le prétend. Mais lui, pourquoi n’en écoute-t-il plus du tout seul, si ce n’est - comme je le disais à l’instant – qu’il veut éviter de se replonger dans les sables mouvant du passé ?

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  • Commentaires

    1
    Lundi 29 Août 2016 à 07:02

    Les sables mouvants du passé, comme il est difficile d'en sortir. Et puis ça colle aux basques, ça laisse traces, mais ça les repère bien aussi !

      • Lundi 29 Août 2016 à 07:11

        Oui, mon narrateur sent bien tout cela et veut comprendre.

    2
    Laurent Biteau
    Lundi 29 Août 2016 à 09:54

    Super !

    Cela me rappelle certaines conversations avec mon jeune fils, lui aussi amoureux de mes vieilleries et jeune guitariste.

    Lorsque vous aurez un moment, j'aurais aimé discuter avec vous de la manière d'éditer une oeuvre ou un recueil. Je ne sais pas trop ce que valent mes écrits. Mes proches les trouvent plutôt intéressants (sont-ils objectifs) et j'ai aujourd'hui , un recueil complet de poèmes, un livre d'un centaine de pages une dizaine de nouvelles et un livre pour enfants magnifiquement  illustré par ma belle-fille. Je souhaiterais éditer au moins les poèmes.

    Ceci dit, j'avoue ne pas savoir comment m'y prendre. 

    Merci par avance!

      • Lundi 29 Août 2016 à 11:04

        Merci Laurent. Vous ai fait une réponse exhaustive via votre messagerie privée sur FB. Belle journée à vous !

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