Le CD des Scatterbrained est celui que Damien écoute le plus dans sa voiture. Il lui plaît tellement qu’il pense demander à Martin si lui et son groupe seraient d’accord pour qu’il s’en serve. Ce serait la musique du nouveau film qu’il tourne. Un polar rock and roll dont l’action justement se déroule dans le milieu de la musique. C’est exactement ce qu’il recherche. En plus ce serait un bon moyen de lancer le groupe. Il ne reste plus qu’à voir avec eux les termes du contrat et le tour est joué. Mais comment n’y a-t-il pas pensé avant ? Tous ses films mettent en scène des jeunes qui cherchent dans leurs pérégrinations un sens à leur vie. Ce sont souvent des histoires de paumés. Comme Martin est toujours très critique avec les productions de son père, Damien a soudain un doute. Martin ne va pas vouloir : il va trouver son scénario encore trop glauque, comme il dit, avec une fin qu’on devine dès la première scène.

( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

De retour à la maison, main dans la main, Damien commence à lui faire comprendre qu’il n’apprécie pas ce qui vient de se passer à l’école. Martin a une excuse. Ce n’est pas de sa faute, c’est toujours lui qui prend, la maîtresse le sanctionne dès qu’il y a un problème. Son père aimerait croire son fils, mais il n’y arrive pas. Il poursuit ses explications jusqu’à ce qu’ils parviennent chez eux. Martin n’en démord pas, il n’est pas responsable. Son entêtement énerve Damien et il lui promet que si ça se reproduit, il sera puni ; il ne partira pas en camp avec ses camarades. Et là Martin explose en larmes, il affirme ne pas comprendre et Damien se demande si la sanction qu’il lui a promise n’est pas trop sévère. On le voit excédé cherchant à calmer sa colère. Il pensait qu’un enfant ça écoutait, à partir du moment où on l’aimait et où on s’en occupait. Sa plus grande peur c’est qu’il devienne un mauvais garçon, mais ça il ne peut pas le lui dire. La colère de Damien vient-elle de cette angoisse ? L’hyperactivité de Martin tracasse son père. Il aimerait tant que leurs relations soient moins conflictuelles ; que leur complicité coule de source ; qu’un déclic impromptu se produise et corrige toutes ces petites imperfections auxquelles il ne s’attendait pas en devenant père.

Les pleurs de Martin durent toujours un certain temps et pendant qu’il succombe à la fin du monde dans sa chambre, Damien a le cœur à l’envers. Il tourne en rond dans la salle à manger à se demander s’il faut continuer à laisser pleurer son fils ou s’il doit aller le consoler. Il se dit que quelle que soit la décision qu’il prendra, ce ne sera jamais la bonne. Pourquoi pense-t-il cela alors qu’il n’en sait rien ? On a parfois des pressentiments que l’on ne s’explique pas. Celui-ci en est un qu’il a depuis le début. L’éducation d’un enfant est une grande aventure que l’on vit en solitaire. Il l’ignorait. Il faut sans cesse trouver le bon argument au bon moment, être irréprochable et exemplaire. On ne peut que s’améliorer en étant parent ou bien le contraire.

Martin continue à pleurer dans les pensées torturées de son père, le laissant en proie à une culpabilité qu’il n’aurait jamais imaginée éprouver un jour.

( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

À cinq ans, Martin réclame déjà de partir faire un mini camp destiné aux six huit ans. Il n’a pas l’âge mais après négociation avec la directrice du centre, elle finit par accepter de le prendre. Il est fou de joie. Ses yeux brillent de plaisir. Le sourire qu’il affiche ressemble à celui du clown dont on voit l’image placardée sur les panneaux publicitaires de la ville avant l’arrivée du cirque Zavata : large et expressif, il donne envie de sourire lui aussi tellement il semble sortir du cœur.

De retour à la maison et voyant qu’il a obtenu gain de cause, il embrasse son père et sa mère. D’un seul coup, on a le sentiment qu’il a pris un an de plus. Il fait le grand, arrête de courir partout, obéit à ce qu’on lui dit et promet de ne plus jamais faire de crise quand il n’a pas ce qu’il veut. Hélas, les bonnes résolutions durent à peine une journée. Le lendemain de ses promesses, la directrice de l’école maternelle leur apprend que Martin a passé toute la matinée dans son bureau parce qu’il a été infernal. Damien devient blême et prie la maîtresse de bien vouloir excuser les débordements de son fils ; qu’il fera tout son possible pour ne pas que cela se reproduise. La maîtresse est elle aussi désolée. Elle voudrait tellement que Martin change un peu de comportement, parce que au fond c’est un bon gamin, dit-elle. Damien est content qu’elle l’ait remarqué, mais cela n’enlève pas la colère qu’il a en lui et qu’il va devoir calmer pour parler à son fils, lui expliquer pour la énième fois qu’il faut écouter la maîtresse.

( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)