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    La perte d’un grand ami donne à mon attachement pour cette femme un relief inattendu. Parfois, je me sers du fantôme de Fabrice comme d’un tremplin entre elle et moi. Et à d’autres moments, je le considère comme un fossé invisible : il nous empêche de nous rapprocher. Elle, trop hantée par sa frustration de ne l’avoir jamais aimé physiquement et moi  perturbé par le rôle d’intermédiaire que je suis essentiellement censé jouer dans cette histoire. Personne ne peut m’aider et ma librairie encore moins. Le silence des mots prisonniers des pages de tous ces livres que j’aimerais vendre ressemble pièce pour pièce au désarroi auquel je dois faire face : immense et harcelant.

    (Extrait d'un roman inédit)

     

     

     

     

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    D’après Delphine, ils se connaissaient depuis plusieurs mois. Parfois elle appelait la nuit vers deux ou trois heures du matin et Fabrice décrochait toujours avec empressement et bonheur. Ils pouvaient rester au bout du fil  des heures durant à parler de tout et de rien. Ce n’était pas le genre de Fabrice, plutôt peu loquace au téléphone. Ils riaient bien ensemble. Si elle ne téléphonait pas pendant un ou deux jours, il devenait nerveux, désagréable, même avec ses sœurs : elles venaient le voir de temps en temps les week-ends et parfois aussi pendant leurs vacances en alternant les visites. C’est comme ça qu’elles se sont rendu compte qu’il avait une liaison secrète. Elles étaient loin d’imaginer qu’il était tombé amoureux d’une chatteuse. En revanche, lui appelait peu, enfin rarement. Cela peut s’expliquer par le fait qu’elle avait sans doute déjà quelqu’un dans sa vie et qu’il ne pouvait pas la joindre comme il le désirait.

    Ce qui est bizarre dans leur histoire, mis à part le fait qu’ils ne se soient jamais vus et qu’elle se soit pointée à son enterrement, c’est qu’elle continue à vouloir poursuivre cette incroyable rencontre en cherchant à me joindre, moi, et pas un autre. Je suis à la fois flatté et surpris.

    ( Extrait d'un roman inédit )

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    Savait-elle qu’il n’avait aucun projet pour l’avenir, sinon celui de vivre le présent le plus simplement du monde ? Lui avait-il dit qu’il l’aimait ? Avaient-ils fait des projets ensemble, sinon celui de se rencontrer un jour ? Comment l’imaginait-elle physiquement ? Savait-elle que lui il n’avait pas de goût particulier en ce qui concerne les femmes ; qu’il prenait celle qui voulait bien de lui du moment qu’elle était sympa ? Savait-elle qu’il n’aimait pas trop parler et que parfois il s’ennuyait même avec ses propres potes ? Dans ces cas-là, il devenait soudainement rêveur et fumait cigarette sur cigarette en fixant un point quelconque dans l’espace et cela le rendait mystérieusement absent et totalement ailleurs, loin de son entourage immédiat et de leurs préoccupations bassement matérielles ou  trop superficielles à son goût. Savait-elle qu’il disait souvent que le Chat, c’était fait pour les gens n’ayant rien d’autre à vivre dans l’existence ? Était-elle au courant qu’il était sans espoir, malgré ses apparences joviales ? Pour lui, la vraie vie était dans l’art, dans la création. Parce qu’il croyait que l’existence était meilleure une fois qu’elle était réinventée ; en tout cas, son poids devenait soudainement plus léger à supporter, plus facile à transporter au quotidien. Rien d’autre, selon lui, ne remplacerait cet incroyable pouvoir de la création et de ses effets sur l’homme et son espoir face à sa propre solitude. L’art était pour lui un remède idéal contre la tristesse et la monotonie.

    ( Extrait d'une fiction inédite)

     

     

     

     

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    Le soir, quand avec des copains, on lui rendait visite, il fallait toujours qu’on passe après vingt-deux heures. Avant, il mangeait et il était hors de question qu’il rate le dîner familial. Un principe. Après avoir gravi les marches cirées d’un escalier en colimaçon, on accédait à sa chambre immense et lumineuse. Je pense que ses parents ne voyaient pas tellement d’un bon œil ces réunions vespérales qu’on aimait poursuivre jusqu’au petit matin sans rien faire de spécial. On finissait tous à moitié abrutis par nos rigolades d’enfants perdus. Le monde qu’on voulait refaire était un prétexte à nos discussions interminables. Les disques tournaient sur sa vieille platine pendant qu’on parlait d’art et de littérature, d’anarchie et  de politique, de voyages et de géographie.

    (Extrait d'une fiction inédite)

     

     

     

     

     

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  • Abat-Jour

     

    Il est des mots, des images que j'emploie peu, au quotidien comme dans mes écrits. Abat-jour en fait partie. Pourtant c'est à lui que j'ai tout de suite pensé quand il s'est agi de composer avec toi cet abécédaire amoureux. Je te dois des explications. Sa place dans notre salon  ressemble à celle qu'occupent les lampadaires dans certains films de Charlie Chaplin. Ce n'est pas rien si je pense à ce cinéaste quand je vois cet haute lampe chez nous. C'est souvent par associations d'idées que je fonctionne. Je m'en rends compte encore aujourd'hui. Cet objet - comme avec quelques films de Charlot - même s'il semble anodin, ne l'est pas du tout pour mon imaginaire. Il filtre de là où je travaille, c'est-à-dire, à à peu près quatre mètres de mon bureau, la lumière sur ton visage concentré de lectrice que je regarde souvent discrètement quand je cherche mes mots devant mon ordinateur. Tu  l'ignores, mais cette vue régulière sur l'éclairage de ta tête légèrement inclinée me procure un bien fou.   Elle m'invite à venir te rejoindre. Elle me donne des idées. Elle me stimule pour aller d'un endroit à un autre. Elle me susurre les mots que tu lis et que j'entends par la force des choses. Elle me permet d'y voir plus clair et de me rapprocher moi aussi des lumières de la ville.

    (Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour, coécrit avec Balval Ekel, Editions Jacques Flament)  

     

     

     

     

     

     

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