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    Au même âge, Martin, alors qu’ils se rendent à son école et que sur le chemin il n’arrête pas de poser des questions à son père, il en vient à l’interroger sur ce fameux flacon d’urine qu’il a pris soin de bien emballer dans une poche en plastique et de fourrer dans son manteau.

    - C’est pour quoi faire le pipi qu’on a pris pour la maîtresse ? lui demande-t-il intrigué de voir qu’il transporte son urine jusqu’à son école.

    Son père lui doit alors quelques explications, les plus simples possibles.

    - Déjà, premièrement, c’est pas pour la maîtresse ton pipi.

    - C’est pour qui ?

    - Je te l’ai déjà dit, Martin, c’est pour la visite médicale.

    Pour Damien l’explication est tellement évidente. Pour un enfant de trois ans, ça l’est moins.

    - Ça va servir pour visiter ?

    Riant dans son for intérieur, Damien doit bien reconnaître qu’il n’a pas su être assez clair avec son fils.

    - Ton pipi va être analysé par l’infirmière, pour le docteur des écoles.

    Il voit à ses froncements de sourcils qu’il l’embarque dans l’inconnu.

    - Si tu veux, ils veulent savoir si tout va bien, si tu n’as pas de problème de santé.

    - Quoi comme problème ?

    Il est allé trop loin. S’il lui parle de la glycosurie ou de la protéinurie que l’infirmière scolaire va rechercher à l’aide d’une bandelette urinaire, il ne va rien comprendre. Damien simplifie donc les choses en lui annonçant :

    - C’est pour savoir si tu n’as pas de sucre ou de sel dans ton pipi.

    Et là, Martin tout content de lui montrer qu’il a compris ses explications lui demande du tac au tac !

    - Et du poivre aussi ?

    Il n’a pas pensé à cette éventualité. En explosant de rire, il entraîne son fils avec lui, qui rit sans comprendre, attaché à l’imiter plus qu’autre chose. Il lui sert fort la main. Il n’a pas besoin d’autres explications. Ce qui compte pour eux c’est ce contact physique et abstrait les unissant sans que personne d’autre ne le sache.

    ( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

     

     

     

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    La spontanéité de Martin et sa curiosité bon enfant amusent beaucoup son grand-père. Un jour, il rentre d’une balade en ville accompagné de Martin et il raconte que son petit-fils a trouvé une solution à son manque d’argent. Tout le monde, à la fois intrigué et amusé, attend la suite du récit avec impatience. Comme son grand-père n’a pas pu lui offrir le croissant que Martin -  âgé de trois ans - lui réclame : il a oublié son porte-monnaie chez lui, il suggère à son papi de traverser l’avenue de Soissons pour obtenir des billets sous l’abri d’en face. Pour lui certains murs sont magiques : il suffit d’y entrer un code secret sur un clavier qui sort des briques, et une fente automatique s’ouvre et tend à n’importe quelle main quémandeuse les billets désirés. Cette perception du monde bancaire, vu par l’œil d’un enfant, séduit le grand-père qui n’en revient pas.

    ( Extrait de Notes d'un film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

     

     

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    Au milieu des mouvements de gens allant et venant, des rêves se croisent et des adieux se disent, Damien est comme un pantin que le passé rattrape en l’espace d’une demi seconde et Julie, une poupée resplendissante à l’aise dans la désinvolture de sa jeunesse.

    L’aéroport est le lieu idéal pour opposer symboliquement ces deux mondes où l’insouciance et la gravité cohabitent dans les effluves et les brouhahas des mélancolies en partance ; des désillusions rentrées ; des espoirs qui  boulochent.

    ( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

     

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      Et ils discutent à bâtons rompus pendant des heures et des heures d’avenir professionnel, Damien dans le rôle improvisé de conseiller d’orientation dont il a gardé un mauvais souvenir quand il était lycéen. Ce soir, c’est à cause de ce mauvais souvenir qu’il se force à être compréhensif envers sa fille. Il veut être à la hauteur de sa requête et parvenir à ôter d’elle ce doute que lui-même avait éprouvé à son âge. Les métiers qu’on présente dans les CIO sont ceux pour lesquels il existe une formation particulière. Il vaut mieux éviter les autres car ils ne correspondent à rien de répertorié dans les fichiers de l’Education Nationale. Cinéaste, scénariste, monteur, accessoiriste, machiniste, maquilleuse sont des emplois qui effraient n’importe quel conseiller d’orientation. Il se souvient de la tête qu’avait faite sa conseillère quand il lui avait dit qu’il voulait être scénariste dans la vie. On ne lui avait apparemment jamais posé la question. Tout de suite elle avait essayé de le diriger sur autre chose de complètement différent et cela l’avait choqué, lui, adolescent. Alors il était allé en voir un autre mais lui aussi avait séché comme sa collègue. C’est bouché comme profession, s’était-il contenté de lui répondre. C’est pas la peine de t’entêter à aller là-dedans. Et ça avait été comme ça jusqu’à ce qu’il trouve par hasard dans une petite annonce un boulot saisonnier de factotum dans l’équipe de Sautet. Les conseillers n’en parlent jamais des réseaux, des jobs d’été, des stages même bénévoles qu’on peut effectuer si on est passionné par un métier difficile d’accès : ils peuvent permettre aux jeunes de rentrer petit à petit dans le milieu. Non, jamais ils ne les conseilleront de suivre les chemins de traverse pourtant parfois aussi instructifs que certaines formations bidons les obligeant à partir ensuite dans une autre direction et à perdre du temps et de l’argent.

    (Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Je n’ai pas vu ma petite fille se transformer en jeune femme, se dit Damien. C’est arrivé sans que je m’en rende compte. Du jour au lendemain, je crois, que j’ai eu en face de moi un être complètement différent que j’ai eu du mal à reconnaître. Mais impossible de me souvenir quand cela s’est passé exactement.

    Les photos d’elle quand elle était petite et qu’elle a gardées dans sa chambre au milieu d’autres plus récentes me fascinent toujours autant. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer les clichés intermédiaires qui ont donné naissance à la petite femme qu’elle est maintenant. C’est certainement de la déformation professionnelle.

    Cette écriture d’enfant, quand elle était au collège, n’a plus rien à voir avec celle qu’elle a maintenant depuis qu’elle est au lycée. Les lettres se sont arrondies et l’encre a changé de couleur. Ecrire en violet c’est moins banal que le bleu foncé ou le noir habituel.

    L’agenda resté sur son bureau est pratiquement vide. Au début de l’année, les devoirs et les leçons y étaient scrupuleusement notés. Puis au fur et à mesure de l’année, de moins en moins d’exercices, de dissertations, de compositions et autres travaux scolaires y ont été inscrits. Le blanc correcteur est une nouvelle peinture ; elle décore en grande partie la première de couverture de ce cahier de texte moderne et customisé.

    Dans une vieille rédaction datant du collège qui traîne sur son bureau, on peut lire que le cauchemar de Julie est de devenir paraplégique et de dépendre entièrement de ses parents jusqu’à la fin de sa vie. Ceci a l’air de rassurer Damien : il sourit en apprenant la nouvelle. C’est la première fois qu’il lit une composition de français rédigée par sa fille. Pourquoi n’a-t-elle jamais voulu me montrer ses travaux scolaires ? se dit-il tout en continuant à lire son texte.

    Plus loin, il apprend que son rêve le plus grand c’est que les chercheurs trouvent un jour un moyen de rester immortels. Et elle explique que la vie passe tellement vite qu’on meurt forcément trop tôt ; qu’il faut du temps à l’homme pour s’améliorer. En devenant immortel, elle dit qu’elle est sûre qu’il n’y aurait plus de guerre. L’homme serait parfait. Drôle de raisonnement pour une fillette de douze ans. Cela le laisse rêveur. Immortalité, liberté et indépendance se rejoignent quand on y pense, se dit-il.

    ( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

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