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    Il n’y a pas un seul bruit dans la salle. Les visages des gens sont des bougies brillant au milieu de la nuit où la comédie et la réalité se confondent. Même les parents qui ne vont jamais au théâtre sont stupéfaits par l’interprétation de leur bambin. Ils n’en espéraient pas tant. Scotchés à leur siège, ils découvrent dans la bouche de leur enfant une universalité qu’ils ne connaissaient pas.

    Près de Damien, une mère assez âgée accompagnée de son plus jeune enfant pleure silencieusement. Il n’ose pas la regarder de peur de la gêner. Sa discrétion est encore plus touchante. Peut-être pense-t-elle que l’obscurité efface les larmes.

    Il se dit qu’elle doit bien avoir une raison de sangloter au moment où Julie entame un long monologue. Au milieu de deux émotions, il ne sait plus où donner de la tête. La pièce continue sur fond de reniflements de plus en plus bruyants.

    Julie n’entend rien que les battements de son cœur dans sa poitrine rentrée. On croirait une vraie aveugle : elle parle comme un adulte en fin de vie. Le fauteuil roulant  dans lequel elle se déplace si bien sur scène avance, recule, s’arrête, puis repart de plus belle. Les silences ainsi voulus par l’auteur sont matérialisés de façon poétique et plastique. C’est un mélange des deux dont Julie a conscience et que Damien applaudit dans sa tête. C’est exactement ça. La scène devient un endroit que l’éclairage des spots rend plus onirique.

    (Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour)

     

     

     

     

     

     

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    Elle arrive dans un fauteuil roulant, affublée d’énormes lunettes noires dont les larges montures en plastique blanches mangent un quart de son visage de fillette. Le discours qu’elle prononce est illogique. Il est répétitif et saupoudré de silences qui glacent la salle. Sa voix porte bien pour une voix d’enfant jouant le rôle d’un homme. D’ailleurs qu’elle soit masculine ou féminine la voix, ça n’a pas vraiment d’importance dans le cas présent. Seuls le texte et l’interprétation du rôle de cet aveugle paraplégique sidèrent le public. Comme un tableau de Magritte en train de s’animer soudain, la pièce de Beckett devient dans la bouche de Julie et  le regard de son père un éclat lunaire au milieu d’un paysage nocturne. On aurait envie de prendre Hamm dans nos bras non pas pour l’aider à remarcher ou lui permettre de retrouver la vue, non, mais pour mieux le rentrer dans nos cœurs.

    ( Extrait de Notes pour un film qui ne verra jamais le jour )

     

     

     

     

     

     

     

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    Le succès est un sourire sublime                adressé par l'éphémère à l’éternité.              C’est un moyen de gagner

    un peu plus d’immortalité

    mais malheureusement

    jamais une fin en soi.

    Parce que sinon

    il conduirait à l’effet inverse

    c’est-à-dire à un raccourci d’espoir            tombé aux oubliettes.

     

     

     

     

     

     

     

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    Les mensonges qu’il me dit viennent, pense Damien, de l’exagération et de l’emphase avec lesquelles j’aime lui raconter des histoires sans queue ni tête. En grandissant, Martin voit dans mes propos des paroles de Marseillais. Comment pourrais-je lui prouver que la vérité j’aime l’enjoliver ou bien au contraire l’enlaidir, mais qu’elle est toujours présente dans mes discours – seulement un peu déformée par mon enthousiasme ou ma déception ? elle sert de support à mes débordements en tous genres. Comment Martin peut-il se douter que le rapport que j’entretiens à la réalité n’est pas clair ? Donc forcément qu’est-ce qui pourrait le persuader, de me dire enfin la vérité à chaque fois qu’il me parle ? Mes reproches, mes avertissements et mes conseils, mon fils ne les entend pas. Prisonnier d’un système où très tôt il s’est senti investi d’une responsabilité d’adulte – avec des images de Napoléon d’Abel Gance ou du documentaire de Nuremberg à Nuremberg qu’il essayait de comprendre dès quatre ans pour être admis dans la cour des grands  -, il vieillit avec quelques années en plus par rapport à ses potes du même âge.

    ( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour)

     

     

     

     

     

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    Les sourires de Martin portent déjà la promesse d’une complicité aussi profonde que complexe qu’il découvrira bien plus tard. Ses câlins ont la particularité d’apaiser les angoisses de son père. Il se sent important et en même temps très maladroit avec des principes tordus et une sensibilité contrariée. Son père doit lui apparaître comme un être étrange : il répond à ses questions de manière à la fois pédagogique et farfelue. Il y a chez Martin une telle avidité de communiquer que Christian se sent obligé d’en rajouter une couche, voire deux, sans vergogne pour assouvir la soif de connaissances de son fils.

    (Extrait de Notes d'un film qui ne verra jamais le jour)

     

     

     

     

     

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