• veux-tu que de mes rêves

    j’aille chercher des images

    à décortiquer pour nous

    au petit déjeuner ?

     

    on s’amusera ensemble

    à les griller au toaster

    à les croquer en musique

    en s’imaginant des horizons

    coupés au cutter

    veux-tu c’est sincère

    la dernière fois qu’on

    en a eu tous les deux

    des souvenirs de nuit à tartiner

    nous les avons bien digérés

    en faisant l’amour

     

    ce serait bien de recommencer

    ce matin

     

    veux-tu ?

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    J’aurais dû être  mort des dizaines fois. Ou disons, je suis un grand  rescapé, aime-t-il à répéter. Comme on dit un grand brûlé, directement transféré dans une unité spéciale où certains accidentés sont accueillis. Avec un corps bien réduit. C’est vrai, nous sommes essentiellement constitués d’eau. Un drap blanc posé sur des cris de souffrance et un personnel hospitalier à cent à l’heure autour de la civière. Une odeur de viandé grillée parcourant les couloirs. Mais à la fin, après de multiples soins, greffes, et années de déboires, il finit par survivre, le grand brûlé. Avec des cicatrices sur tout le corps et un visage complètement défiguré. C’est ainsi que je l’imagine quand il me raconte qu’il est un grand rescapé.

     

     

    Face à un tel aveu et surtout à mes représentations mentales, je me sens proche de lui. Il faut que je passe le voir régulièrement si je suis dans le coin. Autour d’un café, dans sa maison au plafond bas et aux journaux stockés partout dans la cuisine, j’ai le sentiment de ressembler à un nain dans un conte de Grimm. Dès qu’il ouvre la bouche, j’entends la voix lointaine d’un père fantasmé me lire des histoires le soir avant de m’endormir. J’en perds la parole, les mains collées contre mon mug bien chaud, un goût de café fort dans la bouche. Presque amer mais délicieux.

    Incipit d'une fiction inédite, Anti-héros.

     

     

     

     

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  • Il paraît que pendant qu’ils étaient en captivité, certains prisonniers japonais bâtissaient mentalement leur maison. Chaque pièce y passait ; était mesurée au centimètre près et agencée selon les goûts de ses concepteurs. Le jardin, avec ses arbres et ses fleurs, avait lui aussi une place importante dans la construction mentale de leur univers. Sans doute, parce qu’au Japon, la forêt et la montagne très présentes sur ses îles y étaient pressenties comme bientôt éliminées de la surface de leurs terres, au profit d’une urbanisation croissante des années plus tard. Imaginer son jardin personnel était pour eux un moyen comme un autre de prolonger le  contact idéalisé avec la nature qui leur manquait.

      Ces Japonais racontèrent qu’ils ressentirent une grande frustration à leur sortie de prison : leurs plans ne virent pas le jour et restèrent à l’état d’échafaudage mental longtemps gravés dans leur mémoire.

    D’autres, moins nombreux ceux-ci, souffrirent - d’après les dires d’un ami plus âgé qui avait passé une grande partie de son enfance au Vietnam  - de la liberté retrouvée. Leurs combinaisons architecturales et leurs agencements mobiliers tombaient à l’eau et ne voulaient plus rien dire à la lumière du jour. Leurs constructions imaginaires étaient des châteaux de cartes : ils dégringolaient au contact de la liberté. La plupart d’entre eux regrettèrent la prison. Le paradis domestique dont ils avaient tant rêvé dans leur geôle de guerre resta pour beaucoup au stade de fantasme autistique. Certains – de ceux qui construisirent leur maison dans leur tête – se suicidèrent une fois libérés. Le reste s’endetta sur plusieurs générations pour accéder à la propriété d’un malheureux appartement, à peine suffisant pour y loger un couple et sa progéniture.

    Maintenant, les petits-enfants de ces familles nipponnes sont devenus des emmurés ; prisonniers d’un autre genre : du monde virtuel les ayant contraint à ne plus sortir de chez eux ; à tout contrôler de leur ordinateur et à aimer à distance. La peur de la violence urbaine et la crainte de la solitude sont liées chez ces jeunes.

     

    Je me surprends à me remémorer des souvenirs que je croyais anecdotiques, voire effacés. Ce Jean Carpani avait vécu au Vietnam avec sa famille. Je ne l’ai pas souvent côtoyé et pourtant ses récits m’ont longtemps impressionné. Il parlait peu à l’époque, mais avait l’habitude d’évoquer de temps en temps les souvenirs de son enfance à Saïgon. Cette ville lui avait toujours manqué, disait-il. Il n’y retourna pourtant jamais, prétextant qu’il ne voulait pas trahir sa mémoire ; celle-ci devait rester intacte ; que la géographie était pour lui affective. Il avait appris le cantonais avec sa nourrisse chinoise et le parlait remarquablement bien, malgré les années passées en France sans l’avoir pratiqué, je veux dire sérieusement, dans des conversations approfondies, avec des indigènes.

     

    Il me racontait aussi qu’il avait été marqué par la violence des militaires japonais à l’égard de la population civile lorsqu’il vivait au Vietnam, pendant la guerre. Plusieurs fois, il faillit mourir, à cause d’eux. C’étaient des illuminés et ils en voulaient aux enfants. Certains, appartenant à des familles de colons français, furent kidnappés et jamais rendus à leurs parents.

    Extrait d'une fiction inédite, Au fond, dont le début à été publié dans le n°9 de la revue numérique Squeeze que vous pouvez télécharger gratuitement en cliquant sur le lien ci-dessous. L'extrait s'intitule Dans la champignonnière.

    http://revuesqueeze.com/actualites/revue-squeeze-n9/  

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     Le malaise que m’inspiraient jadis les églises ne m’a jamais quitté. Pourquoi ? Cela serait trop long à expliquer. Je préfère vous raconter cette histoire qui ce matin brusquement me revient en mémoire.

    C’était un samedi en fin de matinée. Il faisait déjà très chaud. La journée s’annonçait une nouvelle fois caniculaire. Francine et Edmond mariaient leur fille cadette, Astrid. Il y avait énormément de monde sur le parvis de l’église. On attendait les jeunes mariés d’un moment à l’autre. Ils n’allaient pas tarder. Le maire les avait retenus un petit peu plus longtemps : il tenait à féliciter personnellement le couple. Tous les deux avaient été ses élèves à l’école du village d’à côté, il y a plus de vingt ans.

    Au moment où ils arrivèrent, main dans la main, Edmond prit le relais. Le protocole était prévu ainsi. La mariée devait entrer à l’église au bras de son père suivie du reste du cortège. Lou, la sœur aînée d’Astrid était même présente – elle venait d’accoucher il y a à peine deux semaines - accompagnée de son mari,  Samuel et de leur fils Léo, confortablement installé dans sa poussette flambant neuve. Au moment où les cloches sonnèrent pour annoncer le début de la cérémonie, il restait encore quelques personnes dehors. Elles avançaient lentement à cause du petit embouteillage que la ruée provoqua. La famille était grande, les amis nombreux et les voisins aussi. L’église, quant à elle, était assez petite, d’où ce ralentissement prévisible dès le départ.

    Le temps que l’assemblée trouve sa place, au milieu des toux, bruits de chaises, reniflements divers, cris d’enfants et chuchotements d’adultes, la messe allait bientôt être donnée. Le curé, dans son habit de pape, attendait tranquillement debout devant son autel, les mains croisées sur le ventre, un large sourire aux lèvres. Les mariés étaient au premier rang. Derrière se trouvaient les parents aux côtés de Lou, Samuel et du bébé dans son landau placé à la droite de l’allée centrale. La fraîcheur de l’église semblait faire du bien à tout le monde. Certaines personnes plus âgées s’essuyaient le front à l’aide de leur beau mouchoir blanc. La chaleur semblait les affecter davantage.

    Peu de temps après que le prêtre commença à chanter, les yeux levés au ciel, les bras tendus vers la porte de l’église, les mains ouvertes et placées légèrement au-dessus de la tête, en signe d’accueil dans la maison de dieu, les choristes et la joueuse d’harmonium enchaînèrent. Puis ce fut le tour d’une partie de l’église - principalement composée des paroissiens habitués à venir à la messe le dimanche. L’émotion était au rendez-vous. Francine en avait la chair de poule. Edmond quant à lui n’était pas loin de verser sa petite larme d’émotion. Lou aussi d’ailleurs. Au moment où ils reprirent tous en chœur le refrain de la chanson « Que tes œuvres sont belles », elle serra très fort la main de Samuel et le regarda du coin de l’œil, un léger sourire aux lèvres. Il lui répondit par ce même sourire témoin de la gêne qu’occasionne parfois l’émotion partagée.

    C’était vraiment la première longue sortie officielle de Léo. Jusque-là, à cause de la canicule, et de son jeune âge, Lou n’avait pas voulu tenter le diable. Elle avait préféré promener son fils le soir quand la chaleur était vraiment moins pénible pour lui. Mais ce jour-là, pour le mariage de sa sœur, elle fit une exception et cela surprit toute la famille. Il était sur le ventre en grenouillère, un léger drap blanc posé sur lui, avec des deux côtés de la tête ses deux petits poings bien fermés. Cette position avait le don d’attendrir ses parents. Souvent, ils restaient dans sa chambre juste après l’avoir couché pour le regarder s’endormir ainsi.

    L’assemblée, à quelques exceptions près, se leva pour une nouvelle prière.

    La voix du prêtre résonnait terriblement au milieu du silence providentiel de l’église. Chaque parole dite semblait longuement réfléchie. Il s’adressait aux jeunes mariés comme s’il n’y avait qu’eux en face de lui. C’était très spécial. Pendant ce temps, Lou guettait d’un œil averti son enfant en train de dormir profondément, impassible, malgré l’écho de la voix ténébreuse du curé.

    Puis d’un seul coup, sur la pointe des pieds, discrètement, elle quitta l’église en poussant le landau, suivi de son mari.

    Comme au bout de dix minutes ils ne revinrent toujours pas, Fancine sortit également. Puis quelques minutes plus tard elle réapparut, mais sans ses enfants, au milieu des paroles de « Proclamez que le Seigneur est bon » chantées à tue-tête par la quasi-totalité des gens présents. Elle s’installa à sa place comme si de rien n’était, tranquillement, et se mit elle aussi à chanter avec son mari, un sourire aux lèvres. Inquiet, ce dernier aurait voulu connaître la raison du départ de ses enfants, mais il prenait tellement de plaisir à chanter avec les autres qu’il ne parvint pas à s’arrêter pour savoir ce qui s’était passé.

     

     

    C’est bien plus tard, dans la presse locale, qu’on apprit la nouvelle. Le neveu de la jeune mariée était décédé d’une mort subite du nourrisson.

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  • Forcément si je continue ainsi, je commence à percevoir, dans les évocations de mon enfance, des éclusiers vêtus de bleus de travail avec la casquette du même bleu, tachée à la base de la visière d’une auréole formée par la transpiration du crâne. Je les aperçois dans leur petite écluse, souvent seuls, attablés devant leur télé à regarder les infos tout en mangeant de la charcuterie et du pain croustillant. L’arrivée d’une péniche les perturbe dans leur sieste. Dès qu’elle repart, ils se remettent à leur table de cuisine, à feuilleter le journal local et à s’assoupir à nouveau, près du niveau du canal, tremblotant encore un peu après les remous provoqués par la masse de l’engin et les gaz de son moteur.  

    On m’avait raconté qu’ils gagnaient bien leur vie les éclusiers, ils n’avaient pas un travail très fatiguant et pourtant ils avaient souvent le visage marqué. Leur voiture était toujours propre et bien rangée au garage pour ne pas qu’elle prenne la poussière blanche du chemin de halage. Ils me faisaient penser à des nains, complètement coupés du monde, dans une petite vie qu’ils avaient choisie, parce que, m’avait-on raconté, c’était la planque d’être éclusier. Vers la fin de l’extinction de la profession et jusqu’à ce que les derniers partent en retraite, seules quatre péniches passaient tous les jours. C’était encore plus la planque.

    Mais aussi avec les éclusiers, il y avait les bateliers. Parfois après avoir passé l’écluse, ils se stationnaient un peu plus loin et laissaient leurs enfants se baigner dans le canal pendant les périodes de canicule. Ils étaient souvent blancs comme des linges, venaient de Belgique ou des Pays Bas. Pendant qu’un des parents prenait son vélo pour aller faire une course dans le village d’à côté, l’autre parent restait bien sage à surveiller la baignade de ses ouailles.

     

    Le temps s’écoulait lentement près des écluses. Il suffisait qu’une voiture se pointe – même si elle ne roulait pas spécialement à vive allure, le facteur, le boulanger, le boucher ou autre - et une poussière épaisse se dégageait très vite après son passage. C’étaient comme des coups d’accélérateur donnés à la lenteur des battements du cœur de l’écluse.

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