• J’aurais moi aussi envie de courir comme mes camarades mais pas à tout bout de champ, à l’aveuglette, sans savoir où je vais. Je voudrais prendre une direction précise me conduisant vers une destination que j’aurais fixée avec ma conscience. Je rêve d’un voyage que personne n’a encore jamais fait, me retrouver dans un pays inexistant. Je rêve de partir explorer les frontières entre le quotidien, la routine, les habitudes et le surplace du mouvement, du changement continu, des découvertes perpétuelles et des rencontres inattendues. Avoir la possibilité de choisir vraiment et de ne pas rester à m’engluer dans l’abstraction des idées impossibles à appliquer. J’ai envie de changer d’air et de me vider la tête de ces cochonneries qui l’encombrent et l’atrophient à la longue.

    J’ai peur en vieillissant que ma vie ne me satisfasse jamais, de demeurer un éternel légume ronchonnant. Même en créant, comme semble me le suggérer papa, ça doit être dur de supporter les jours qui passent et se ressemblent tous ! Comment les artistes arrivent-ils à ne pas capituler devant les contraintes épuisantes et déprimantes du quotidien ? Vivre paraît impossible. Survivre, la seule échappatoire à l’illusion du bonheur. Je comprends mieux pourquoi les adultes sont mal à l’aise quand ils en parlent : ils ne veulent pas nous décourager. Mais moi je sais qu’ils mentent la plupart du temps quand ils évoquent leur vie passée ou présente. Ils fabriquent pour nous des discours bien présentés pour faire passer la pilule de la déception avant l’heure. Dire la vérité à ses enfants sur l’immense et tenace crise existentielle qu’ils risquent de connaître tout au long de leur vie reviendrait en quelque sorte à les décourager avant même qu’ils aient grandi. Pourquoi ont-ils tant de mal à parler d’eux-mêmes ? Pourquoi emploient-ils sans cesse des images pour nous expliquer la vie ? Est-elle si laide pour qu’on la grime autant ? Il y a bien longtemps que les contes pour enfants ne me touchent plus. Le sentiment de lutter en permanence contre une immense tristesse qui pourrait me rendre fou si je ne le maîtrisais pas m’habite depuis que je suis tout petit. J’ai l’impression d’avoir soixante-dix ans parfois quand trop fatigué de me poser des questions, je voudrais que la vie s’arrête. D’ailleurs je les admire les vieillards. Leur courage m’émeut quand j’y songe. Leur endurance est un modèle pour moi. Pour mes copains, c’est l’inverse. Quand on discute de ça entre nous, ils ne comprennent pas que je puisse être attiré par les vieux. Pour eux, la vieillesse c’est synonyme de mort. Et la jeunesse, c’est pas la même chose ? Je n’arrive pas à être comme eux, aussi peu nuancé. Mon problème vient certainement de là comme je l’ai déjà dit. Avec le style de nana que certains ont et d’autres n’ont pas, c’est pareil : je ne me reconnais pas dans leurs prétendus goûts. Je n’ai aucun genre de prédilection. Soit une fille me plaît, soit elle ne m’attire pas. Peu importe la couleur des cheveux, la taille et la carnation de la peau. Du moment que je la trouve bien, ça me suffit. La dernière en date était blonde et celle d’avant, rousse. Toutes les deux différentes psychologiquement. Jamais il me vient à l’idée de comparer mes conquêtes. Ça aussi, c’est un truc dont mes potes parlent souvent et qui moi m’agace. Faut toujours qu’à un moment donné ils reparlent de leurs ex et de tout ce qui était bien chez elles et qu’ils ne retrouvent pas chez leurs nouvelles copines. La comparaison est certainement un moyen pour eux de donner un peu de sens à leurs recherches. Je comprends, je ne leur en veux pas, je suis juste un peu énervé quand ça devient systématique. Ou alors c’est pour nous montrer qu’ils font du nombre et que cela les valorise. Certains sont impressionnés et ça les amuse. Je suis du genre à ne jamais divulguer ma vie intime. C’est trop personnel pour que mes potes soient au courant du moindre de mes fantasmes. Cela ne regarde que moi-même et ma compagne du moment. Ils mélangent les genres, mes potes. Ça aussi, c’est difficile à leur expliquer que moi je n’arrive pas à étaler, comme eux, aussi facilement ma vie amoureuse. Au début, ils me charriaient, maintenant ça va mieux : ils voient bien qu’il ne faut pas m’emmerder là-dessus.

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  • "Les souvenirs ont la fâcheuse tendance à distorde la réalité, comme si le temps qu’on voulait rattraper par la mémoire, ne se laissait pas complètement saisir, qu’il laissait des plumes dans nos têtes d’animaux perdus. Ce sont ces plumes-là que j’essaie de disséquer, dont j’essaie de raconter l’histoire vaille que vaille pour le plaisir des poussins collés contre le grillage de la basse-cour."

    A commander sur le site de l'éditeur 2 euros + 1 euro de frais de port, ou auprès de moi si vous le voulez dédicacé en me contactant via l'onglet "Contact" en haut à gauche sous "Rubriques"
    http://www.fepemos.com/ billets-d-auteurs

    Un billet, c'est
    Un auteur
    Plusieurs de ses textes
    Une feuille A4 pliée en quatre
    Papier japonais

    Extraits d'Entretiens imaginaires, Le festival permanent des mots, éditions Tarmac

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  • Quand je pense à la crise que nous traversons, moi et mes potes, je trouve qu’elle a le mérite d’être sincère. On ne peut pas nous reprocher le contraire. Bon, c’est vrai, il y en a pour qui ce passage obligé vers le monde des adultes est plus forcé que chez d’autres. Je pense à Arthur que cloper fait tousser et donc n’avale plus la fumée. En cours il la ramène tout le temps devant les profs simplement pour le plaisir de contrarier son monde. En revanche, une fois sorti du lycée il n’a rien d’un rebelle. Mais faut pas généraliser. Les adultes ont trop tendance à nous mettre tous dans le même sac. Se chercher, être perdu, vouloir comprendre absolument, ça passe forcément par des moments de découragement qui se traduisent par des coups de gueule intempestifs et des sentiments exagérés. Je sais tout ça. Le problème, c’est que je lutte constamment contre mes mauvais penchants dans le but un peu vain de ressembler à un adulte équilibré maîtrisant tout et donnant des leçons de morale à ses amis.

    Quand je me force à être comme tout le monde, je ne suis pas à l’aise. Lorsque je me laisse aller à ma vraie nature, je ne me sens pas accepté. La question que je me pose est la suivante : faut-il que j’endure encore longtemps la mise à l’écart que les autres me font subir ou est-ce que je dois à un moment ou à un autre capituler avec mon désir d’être moi-même pour ne plus être embêté et être enfin admis dans le cercle de mes semblables ? Si tel est le cas, cela signifie que je dois dès à présent changer de cap, me fondre dans la masse, me métamorphoser en quelqu’un de moins compliqué, de plus terre à terre, de moins intérieur et de plus indifférent aux mystères qui l’entourent. Si je comprends bien, dans un cas comme dans l’autre les efforts que j’ai fournis depuis que j’existe pour trouver ma voie n’ont servi à rien. J’entends par là qu’il y aura encore des compromis à opérer, des tirs à rectifier ou des parties de moi-même qu’il faudra ajuster au risque de voir l’ensemble du puzzle que je représente s’écrouler lamentablement.

    Je n’ai qu’un objectif : atteindre la plénitude afin d’être capable de m’adapter à toutes les situations, de comprendre le monde qui m’entoure dans le but ultime d’aimer et d’être aimé sans m’aliéner pour autant et perdre mon identité. Ma quête est sans doute trop exigeante, me dirait mon père. Pourtant même si on n’est pas toujours d’accord tous les deux, c’est à lui que je pense dans mes moments de détresse existentielle. Il m’accompagne en titillant mes certitudes, me fait hésiter alors que j’aurais besoin d’être encouragé. Il ignore qu’on maîtrise mal la contradiction, nous autres adolescents. En tout cas, on n’aime pas prendre un adulte en flagrant délit de ce côté-là. On aime les choses claires et nettes parce que nous-mêmes on est un peu comme des spectres perdus dans le noir.

    L’autre jour, en parlant avec Ben, nous en étions arrivés à évoquer les rêves que nous faisions la nuit. J’étais surpris de constater qu’à part l’activité de son inconscient il n’avait aucun rêve qui l’animait dans la vie de tous les jours. Il a dû chercher pendant des plombes pour en trouver un. Ça, ça me sidère par exemple. On dirait que les gens ne le touchent pas, qu’il sort avec des filles sans rien éprouver pour elles, même un petit peu, qu’il se fout de la politique. Le seul truc qui le branche, c’est le punk-rock et je crois que c’est pour ça qu’on est potes. Dès qu’il arrive chez lui, il télécharge des morceaux sur son PC toute la journée, mais uniquement de punk-rock et il n’a aucun rêve. Je ne sais pas, moi, il pourrait rêver d’être sur scène et d’interpréter la même musique que celle qui le fait vibrer, mais non. Il se contente de la compiler, de l’écouter et de me la faire découvrir quand il arrive à choper un nouveau groupe que personne ne connaît encore.

    Peut-être que je suis trop critique et qu’à force de voir les défauts des autres je ne sais plus très bien vers quel chemin me diriger, de peur de faire fausse route. Je me méfie des apparences. Les bonnes intentions sont suspectes pour moi. D’où me vient cette méfiance que je ne m’explique pas ? Le surplace de ma pensée me sidère. Comment faire pour qu’elle avance, qu’elle progresse et génère à son tour des idées nouvelles qui m’aideront à mieux vivre ? Si tous mes copains étaient comme moi, je ne m’inquiéterais pas, je me dirais, c’est normal ce qui m’arrive, ça passera avec le temps. Mais non, eux, même s’ils se cherchent encore, n’ont pas ce sentiment de ne pas avancer. Ils pensent plutôt qu’ils vont vite et qu’on n’arrive pas à les rattraper et ça les exaspère. Oui, je sais, ils ont un peu raison d’un certain côté. Ils trouvent dans la course qu’ils mènent un moyen de perdre les adultes et d’affirmer leur personnalité. Le problème c’est qu’ils ignorent encore que la ligne d’arrivée qu’ils envisagent d’atteindre le plus rapidement possible, ils ne la verront jamais. Elle reculera au fur et à mesure qu’ils s’en approcheront. L’illusion du bonheur c’est un peu comme ça que je me la représente. Comment vais-je poursuivre mon existence si tout autour de moi me rappelle que je serai seul quoique j’entreprenne ?

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  • J’aimerais avoir une pensée plus stable, prête à s’engager dans une voie et jusqu’au bout. Le problème, c’est que dès que je sens que ma réflexion est arrivée à son terme – si ça a du sens de dire ça -, je pars déjà sur d’autres pistes et j’ai alors l’impression de tourner en rond, que plus rien n’a de sens et que quoique j’imagine, la réalité sera toujours plus moche. D’où me vient ce penchant ? J’aimerais tant ressembler à mes proches, me retrouver dans quelqu’un, parce que ça devient paralysant de s’enfermer dans le monde paradoxal de la vérité à tout prix, de la justice sans limite, de la fraternité aveugle, de la liberté infinie. J’ai beau me dire ce que papa me répète, que ça passera avec l’âge ce désir de pureté, je n’y arrive pas. Au contraire, ça me rend encore plus fou. Pour moi, ça signifie qu’il faut accepter de devenir « sale » en grandissant. Comment lutter contre cette fatalité tout en restant zens et équilibrés ? La vie d’adulte m’enthousiasme mais en même temps m’effraie. C’est vraiment à cet âge-là qu’on est ce qu’on a voulu devenir. Comment ne pas être apeuré quand on pense à tout ça ? Parce que ce qu’on vit en ce moment, moi et mes potes, c’est pas ça la réalité. Je vois bien qu’on a une existence super protégée grâce à nos parents et qu’eux aussi ils ne savent pas comment s’y prendre pour qu’on ne soit pas effrayés par l’avenir, je veux dire pour qu’on entre dans notre vie d’adulte armés et prêts à affronter les difficultés qu’on rencontrera. Je sais qu’ils désirent notre bonheur du fond du coeur mais qu’ils sont désarmés parce que ça ne va jamais avec nous les ados. Ils croient bien faire et en réalité ils se plantent : on n’est pas sur la même longueur d’onde. Par exemple, moi, j’aimerais que mon père me parle plus de lui, même si je sais pertinemment qu’il est le seul - parmi tous les pères que je connais - à communiquer autant avec son fils. Pour mes potes, j’ai de la chance. J’aimerais moins attendre des autres pour être moi-même. En ce moment, à force d’être dans l’attente, j’oublie de vivre. Mais bon sang, j’ai pourtant tout pour être heureux, alors qu’est-ce que ça va être quand j’aurai un vrai problème, style un pépin de santé ou des ennuis avec ma banque? J’aimerais arrêter de gamberger pendant plusieurs jours et  me laisser guider par mes autres sens sans pour cela que j’en réfère à chaque fois à ma conscience tordue que personne ne comprend et que moi-même je redoute de plus en plus parce qu’elle ne ressemble à rien que je connaisse autour de moi.

    Quand papa me conseille d’écrire noir sur blanc les films que je me fais, pourquoi pas, c’est une bonne idée, sauf que moi si je me mets à appliquer ses recommandations, mes histoires n’auront ni queue ni tête, ou plutôt auront plusieurs têtes sans queues. Enfin bref ça aura une allure bancale qui reflète assez bien mon état général. On dirait que c’est ma personnalité, que j’ai du mal à redresser la barre, que plus le temps avance plus c’est biscornu ce que je m’imagine. Ça ne leur fait pas ça à mes copains, eux. En tout cas ils ne m’en ont jamais parlé.

    Pourquoi les adultes quand ils nous parlent, ils ne vont jamais jusqu’au bout de ce qu’ils veulent nous faire comprendre ? Est-ce que c’est dû au fait qu’ils ne nous considèrent pas encore comme des gens aptes à penser ou limités intellectuellement ? Peut-être. Je suis certain qu’ils croient qu’on est inférieurs à eux, qu’on ne sait pas, comme eux, manipuler les concepts et que notre culture s’arrête à nos goûts musicaux et à nos connaissances en nouvelles technologies. Ils sous-estiment notre capacité à imaginer leurs vies, même si on ne leur dit jamais. Est-ce que c’est la jeunesse qui nous rend si lucides ? Et la vieillesse qu’apporte-t-elle alors si on est déjà clairvoyants avant l’âge de la sagesse ?

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    III

     

     

    On reste toujours très théoriques en fait. Avec l’âge j’ai l’impression qu’on s’enfonce à pas de géant dans une forêt d’idées afin d’égarer les actes manqués de son passé sur les chemins sans issue qu’on n’avait pas imaginés au temps de l’insouciance. Peut-être que ça sert à accepter un peu mieux notre départ. La patience doit venir avec, je veux dire avec ce périple naturel que chaque homme ou femme finit par mener seul silencieusement.

    Je comprends un peu mieux ce que papa voulait dire quand il parlait de conneries d’adolescent. Même s’il ne m’explique pas franchement ce qu’il entend par là, je me doute un peu de ce qu’il sous-entend. Cette période de sa vie a vraiment dû le marquer et j’aimerais savoir pourquoi. Qu’est-ce qui peut pousser un père à cacher sa vie passée à son fils, sinon la honte qu’il éprouve dès qu’il y songe et que son fils l’incite à la dévoiler ? Comment un père peut-il vivre sereinement sa relation avec son fils s’il ne lui dit pas tout de ce qu’il était quand il avait son âge ? Avouer la vérité, est-ce si compliqué ? Le mensonge doit pourtant peser avec le temps. Sans doute attend-il que je sois plus grand pour me faire de vraies confidences. J’aimerais tellement que la vie soit plus simple mais je me rends compte qu’elle est encore plus compliquée une fois qu’on aime. Faut-il pour autant refuser l’amour ? C’est impossible. Comment faire ? Si on ne peut pas contrôler ses sentiments, on doit bien pouvoir maîtriser quelque chose chez eux, je ne sais pas, un peu de leur intensité par exemple.

    Je n’avais jamais pensé que la BD avait été pour papa un moyen de trouver un équilibre. Pour moi, il avait étudié aux beaux-arts parce qu’il était bon en dessin et qu’il ne se voyait pas bosser dans autre chose plus tard. J’étais loin d’imaginer qu’on pouvait trouver du plaisir à travailler. Avec le temps, je croyais qu’on se lassait assez rapidement des mêmes choses qu’on répétait année après année et qu’on finissait par mener une existence monotone et déprimante à la longue. Si la solution au problème de l’ennui c’est le travail, vivement que j’en trouve un ! Rien ne me plaît à cent pour cent : je sature vite. Ce qui m’intéresse le plus, c’est d’être avec des gens nouveaux et d’essayer de discuter avec eux pour comprendre d’où ils viennent, où ils vont et qui ils sont. C’est d’imaginer leur vie aussi, de vouloir connaître la vérité sur tout, voilà ce qui me plaît. Hélas, aucun métier ne combine à lui seul ces petits centres d’intérêt banals pris l’un après l’autre mais certainement trop ambitieux au fond, une fois combinés les uns aux autres.

    Après tout, la police a peut-être besoin de gens comme moi. Je crois pourtant qu’au bout d’un certain temps, à force de connaître la vérité des faits et l’identité des auteurs de crimes et délits dont j’aurais la charge, je pourrais devenir l’avocat des criminels que je retrouverais. Quelque chose comme ça d’impossible à concilier me conviendrait dans le fond.  

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