• Elle est venue ici dans les années soixante, pendant ses vacances, et y est finalement restée pour épouser un indigène qui est toujours son mari actuel. Depuis, elle travaille dans ce même hôtel. Les affaires, cela ne l’intéresse pas, lui a-t-elle expliqué, de même, a-t-elle poursuivi, qu’elle n’aspire à rien d’autre dans la vie qu’à être présente, tous les matins, à son poste de réceptionniste et à se baigner, le soir, dans la mer tiède et hyaline, juste après le travail, quand il y a moins de touristes sur la plage. C’est le moment pour elle de décompresser, de se décontracter en nageant lentement mais régulièrement, très loin vers l’horizon. Et juste après ses longues nages vespérales, elle reste immobile, verticale, à la surface de l’eau, à attendre que les poissons lui caressent les jambes et le reste du corps.

    Elle lui a également raconté, entre deux coups de fil, qu’elle aime cette sensation de frôlement de son corps, car rare et unique et que pour elle, la pêche est un crime. C’est contradictoire avec le passe-temps de son mari, pêcheur amateur : il déteste qu’elle lui narre certains soirs le plaisir qu’elle a eu à se laisser toucher le ventre par les écailles des poissons. Pour elle, c’est plutôt de la jalousie et de la frustration qu’autre chose, d’autant plus que le soir de ses aveux, il rentre bredouille et qu’à chaque fois, il est fatigué pour accomplir son devoir conjugal. Aller à la pêche, le soir, après le travail, c’est d’après sa théorie, une manière de vouloir se rapprocher un peu plus du dernier instant de vie. Il y a un rapport entre la fascination pour l’eau et le goût de l’au-delà. Elle est d’accord avec elle : les gens déprimés et suicidaires ont tendance à être attirés par l’eau.

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    Sur la mer, une petite lumière brille dans un voilier. Deux personnes semblent se disputer. Ils sont à moitié nus. Ils ne savent pas que les insomniaques peuvent les voir. Ils semblent excédés l’un et l’autre ; leurs bras bougent de haut en bas et de droite à gauche dans un désordre si expressionniste qu’on a peine à croire qu’ils ne répètent pas leur rôle avant la générale.

    Le silence de la nuit et l’agitation muette du bateau amplifie le caractère dramatique de la scène. Comme des ombres projetées sur une mer noire, la vie de ces personnages ne tient qu’à l’imagination et à la patience de ceux désireux de les voir. Ils détonnent par rapport au décor habituel. Surtout leurs gestes. Certains n’ont vraiment pas l’air naturels. Parfois les longues répliques échangées par les deux protagonistes, l’un masculin et très hâbleur ; et l’autre androgyne et moins volubile, lui, confirment qu’il s’agit bel et bien d’une représentation théâtrale. Soudain, ils se taisent. La comédie est terminée.

     

    La lumière s’éteint et le voilier n’est plus qu’un vague souvenir noyé dans les limbes de la nuit. Les personnages sont désormais des êtres humains endormis sur un bateau bercé par la mer.

     

     

     

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  • Le soleil commence à se coucher derrière l’horizon, posant dans sa descente, sur le visage mat des touristes, un voile orangé qui les rend bizarrement ictériques. L’approche de la nuit a sur eux des couleurs encore plus chaudes que pendant la journée. Le soir, la peau est toujours plus cuivrée que le jour.

    Les navires du port attendent nonchalamment de nouveaux chargements. La netteté du trait horizontal coupe le paysage en deux et s’obscurcit au fur et à mesure que la lumière du jour disparaît. Il y a toujours dans ces moments de glissements imperceptibles du travail qu’effectue la nature, un silence progressif à l’instar d’une espèce d’hommage providentiel. Comme dans une course de relais interminable. Chaque élément sortant passe à l’autre, toujours prêt pour la course, le candélabre de la vie, celui qui brûle sans qu’on s’en rende compte tous les vertiges métaphysiques.

     

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  • On entend au loin, par la fenêtre, le bruit sourd d’un navire arrivant au port. Il glisse de manière majestueuse sur l’invisible surface s’étendant par-delà l’horizon. Tandis que la nuit, de son côté, enveloppe dans son immense cape sombre la lueur des êtres en train d’oublier – l’espace de plusieurs heures - la vie physique et sensuelle qu’un nouveau jour fera bientôt renaître. Le paysage marin ressemble à un gouffre duquel s’échappe la musique du néant. Le phare puissant de lumière apparaît tel un pilier en mal d’amour. Sa gigantesque érection n’a pourtant rien de prometteur, ni de viril ; elle est pratique.

    La mer et la nuit semblent fomenter un complot décidé depuis longue date. Le silence dilate le temps en le rendant plus grave et impénétrable. Plus rien ne peut l’empêcher de poursuivre sa course.

    Les voyages vers d’autres mondes n’ont de sens que pour les gens qui rêvent.

    Les cargos parvenus au port à la tombée de la nuit, commencent à se préparer pour le retour vers leur destination d’origine. Les préparatifs s’effectuent lentement. Les dockers ont des gants maculés de cambouis et de taches diverses. L’équipe du jour vient de prendre le relais alors que celle de nuit se rassemble pour aller boire le premier café de la journée dans la cabane située juste en face des filets de pêche en réparation. Personne ne se doute de ces détails qui constituent la vie d’un port. La manière dont les équipes se relayent coïncide étrangement avec la résurrection progressive du jour formant ainsi une composition eurythmique orchestrée par la lumière violette diffusée par l’enseigne de l’unique bar portuaire. La mer, quant à elle, se réveille avec dans son ventre ses poissons affamés, nageant à la surface de l’eau, sans se soucier des pêcheurs qui bientôt viendront les prendre.

    Le ciel, soudain, aspire les parfums humides que l’absence de lumière a laissés sur la ville. Plus rien n’évoque à présent le souvenir de la nuit passée.

     

    Une nouvelle journée l’attend.  

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    Les poils de l’homme assis

    sont de plus en plus longs.

    Ils poussent sans rien lui demander

    comme des enfants crient

    alors que tout va bien.

    C’est ainsi que la vie file

     entre observations personnelles

     impossibilité viscérale à agir

    et à comprendre au fond

    le film qui passe en boucle

    depuis que les étés 

    n’arrêtent pas d’en finir.

     

     

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