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    Après tout, elle aussi n'était pas normale : elle était silencieuse et n’avait envie de jouer à rien. J'avais l'impression, sans qu'elle me l'eût vraiment avoué par la suite, qu'elle s'ennuyait encore plus que moi, qu'elle n'avait de goût pour rien. À l'école, elle était largement meilleure. Je la soupçonnais d’économiser son énergie pour se consacrer uniquement à son travail scolaire. C'était la première de sa classe. Mes parents en étaient fiers. Le mercredi, elle passait beaucoup de temps dans notre chambre quand moi j'étais déjà dans mon laboratoire, dès neuf heures du matin, à jouer à l’apprenti chercheur. On ne la voyait qu'à midi, quand on se mettait à table. J'aurais bien voulu entrer dans la chambre par curiosité. Ses occupations clandestines m’intriguaient. Malheureusement c’était impossible ; elle fermait la porte à clé. Je l'entendais marcher à petits pas. Mais à quoi pouvait-elle bien passer son temps ?

    Si je lui posais la question, elle me répondait, Ça ne te regarde pas !  Son mutisme avait le don de m’exaspérer : je me sentais bête. Quand elle était à ses cours de danse, j'en profitais pour fouiller dans ses affaires. Je ne trouvais rien d’intéressant ou d’énigmatique. Pourtant, moi, je partageais avec elle ce qui me tenait à  coeur. En plus cela l'intéressait : elle me réclamait des détails - que j'inventais bien sûr. Florence était mon public préféré. Peut-être m'avait-elle trop écouté et qu'elle en avait eu assez de mes histoires, toujours les mêmes : de bêtes extraordinaires.

    Du jour au lendemain, je sentis qu'elle n’était plus aussi réceptive au cinéma de mes récits extravagants ; je la fascinais moins. Elle s'était peut-être rendu compte que ce que je racontais, c'était du vent, ça ne tenait pas debout. Elle, elle aimait bien les démonstrations carrées. Moi, je ne lui proposais que des observations farfelues. J'aurais bien aimé qu'elle prenne part à mes programmes de recherches. Jamais elle ne voulut, sauf une fois, où je la forçai à peine à participer à l'enterrement de mon hérisson, c'est tout, et puis quelques autres obsèques par la suite, mais très peu par rapport aux années précédentes.

     

    Manger mes crottes de nez commençait à me dégoûter sérieusement. Cette occupation – inconsciente - me donnait des haut-le-cœur parce que j’en prenais de plus en plus conscience. D’ailleurs, je ne les écrasais plus avec mes dents. Elles glissaient directement dans mon ventre sous l’effet des flots salivaires. Je ne cherchais plus à comprendre. Je ne regardais même pas la couleur qu'elles avaient contrairement au début. C'était devenu un automatisme écoeurant. Mon doigt rentrait dans l'une et l'autre de mes narines et allait aussitôt dans ma bouche. Comme si j'y étais contraint par une force extérieure. Je n'osai pas en parler à l’abbé. J'avais peur qu'il me prenne pour l’incarnation du démon. Le diable mange-t-il ses crottes de nez en enfer ? Monsieur l’abbé devait bien le savoir, lui. Je n'étais quand même pas le fils du diable. Je doutai que mon père fût réellement le mien. Comment le diable aurait-il pu s’y prendre pour se mettre dans la peau d’un être humain ? Ma mère aurait été la première à s’apercevoir de la supercherie si elle dormait avec un démon ! Elle qui redoutait l’étrangeté de la vie aurait immédiatement alerté son entourage si cela avait été le cas !  Je ne voulais pas lui en parler ; elle se serait encore exclamée, Mais tu divagues complètement, mon chéri ! Où vas-tu chercher tout ça ? Pourtant c'est une question que tout le monde peut se poser à un moment où à un autre de son existence, n’est-ce pas ?

     

     

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    Je passais certains jours d’été à attraper les mouches à l’aide d’un verre. J'adorais cette chasse. Dès que j'avais réussi à en avoir une, je la gardais prisonnière le plus longtemps possible. Pendant ce temps, je m'amusais à en capturer d’autres. Chacune avait droit à un verre différent sur la table de la cuisine. J’en faisais des rangées. Je les alignais les uns à côté des autres et quand je trouvais que j'en avais suffisamment, ou plutôt qu'il ne restait plus assez de verres pour en attraper d'autres, j'appelais Florence pour qu'elle vienne jeter un coup d’œil à mon camp de prisonniers présenté comme une exposition. Elle s’en fichait bien de voir vingt mouches sous vingt verres différents. Elle préférait les savoir en liberté plutôt que sous des prisons transparentes. Pourtant une exposition de mouches vivantes fraîchement attrapées, cela avait du charme. J'adorais les observer se cogner les ailes sous le verre de leur geôle. Une fois épuisées, elles montaient puis descendaient la paroi transparente et s’immobilisaient sur la nappe à grosses fleurs multicolores. L'oxygène devait commencer à se raréfier. Un coup d'ailes et elles remontaient. Sous les vingt verres retournés, il y avait vingt mouches identiques, mais avec des déplacements différents. L’effet était esthétique dès que je m'éloignais un peu pour avoir une vue d'ensemble. Contempler des insectes qui marchaient, volaient, attendaient, se grattaient les ailes, bougeaient les pattes, remuaient légèrement la tête, s'accrochaient désespérément à la vie, se demandaient où elles étaient, affolées, nerveuses, assommées, asphyxiées, mais toujours discrètes et silencieuses, me remplissait d’un immense plaisir.

    Si par chance, je parvenais à en capturer deux en plein accouplement, j'étais aux anges. En général, je ne les emprisonnais pas tout de suite ; quelques-unes avaient le privilège de devenir sursitaires. J'étais trop curieux d’apprendre comment les mouches s’y prenaient pour s’aimer. Ensuite soit elles allaient en prison, soit je les exécutais en prenant garde de ne pas les écraser, et en ôtant tout doucement du ventre de la femelle l'appendice gris du mâle encore tout excité. Je ne sais pas pourquoi, mais tuer des mouches en plein coït après les avoir délicatement désunies - comme si je voulais les punir d'avoir fait ça sans pudeur –, me donnait l’illusion d’avoir accompli une bonne action.

    Les grosses mouches bleues, par contre, je les détruisais sur le champ, sans état d’âme. Je pouvais passer une heure, en fermant portes et fenêtres, une tapette à la main, à chasser l’insecte condamné. Je finissais toujours par l'écraser. Elles étaient plus vives que les autres. Ce qui m'intéressait chez les dodues, c'est qu'elles étaient remplies d'oeufs tout jaunes. J'étais surpris par le nombre impressionnant de futurs petits moucherons qu'elles pouvaient avoir dans le ventre. Il suffisait que je presse leur cadavre, et quelques grappes oblongues en sortaient encore. Elles laissaient des traces sur les vitres et ma mère lorsqu’elle s'en apercevait venait immédiatement me gronder : elle savait que j'étais passé par là, qu’il n’y avait que moi pour faire des cochonneries pareilles.

     

    Bien sûr, j'avais des remords de m'être conduit en boucher assassin. Le soir, je faisais vite ma prière en demandant pardon à Dieu dans l’espoir de dormir en paix. Il m'arrivait de revoir les oeufs de mouche avant de m'endormir et je n'aimais pas ça : ils m’empêchaient de trouver le sommeil. Les rêves que je programmais n'arrivaient jamais. À la place je faisais  des cauchemars où des asticots apparaissaient à des endroits précis de mon corps, surtout au niveau du coeur. C'était la punition de Dieu, j'en étais convaincu. Je me réveillais vite et me mettais à genoux dans mon lit pour réciter un nouveau Je Vous Salue Marie. Le temps était incroyablement long lors de ces nuits cauchemardesques. Un sentiment de solitude m’envahissait alors et me rendait triste jusqu’au lendemain matin. J'enviais Florence : elle dormait à poings fermés dans la même chambre que moi. Nous n’avions que treize mois de différence et je ne connaissais rien de ses pensées. Elle jouait dans son coin sans me raconter ce qu'elle avait dans la tête. Pas moyen de la faire parler. Elle était mystérieuse et réservée et me prenait pour un fou avec mes histoires saugrenues. Au début qu’elle me faisait ces reproches je n’y prêtai pas attention, puis petit à petit, j'avoue que je me posai des questions. Est-ce qu'il ne valait pas mieux être comme elle, c’est-à-dire : ne rien révéler de ses propres rêves et de ses tracasseries ; être comme tout le monde, comme les parents ?

     

     

     

     

     

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    L'âne – que je ne devins jamais - s'embêtait à mourir.

    Il ne se passait pas un jour sans que j'éprouve le vertige de l'ennui. Mais comment ai-je donc fait pour supporter tout ce qui m'arriva par la suite ? Je n'ai pas eu plus de problèmes qu'un autre, mais le fait de me rendre compte que je m’ennuyais énormément dans mon enfance me laisse pensif.

    Je pouvais passer des heures et des heures à fixer l'eau de l'étang près de chez nous sans penser à rien. Même pas un désir inavouable me traversait l’esprit. Le vide. La désolation. L'indifférence. L'incompréhension. La nausée, peut-être. En tout cas ils étaient tellement paralysants ces songes soudains que je n’arrivais même pas à pleurer. Mon malaise se situait dans le fond de ma gorge, comme une boule de feu incapable de s'éteindre. Mon image se reflétait dans l'eau et je la regardais, comme on regarde un étranger qu'on croise dans la rue. J'avais envie de la secouer, de la faire couler, mais c’était impossible, elle restait là, ondoyante et obsédante. Dès qu'un poisson sautait, mon corps se déformait. Les vaguelettes qui le faisaient danser ne m'impressionnaient même plus. Alors je prenais des cailloux et les lançais sans force dans l'eau, les observais s'enfoncer dans la profondeur de l'inconnu et une fois qu’ils disparaissaient, je n'imaginais plus rien, je recommençais jusqu'à en avoir assez de voir descendre une forme minuscule dans le puits noir de l'abandon. Rien d'exceptionnel ne se produisait. C'était toujours le même rituel. Mes yeux restaient ouverts devant le néant.

    J'aurais voulu en parler à mon ami Christian ; qu'il me dise si lui aussi il éprouvait ces moments de lassitude extrême au point d’en être très triste et malheureux. Mais je ne savais pas comment lui expliquer cet état bizarre. Comment aurais-je pu lui avouer que par moments il m'arrivait d'être comme un mort. Il m'aurait ri au nez.

    En général, il me fallait un certain temps avant de recouvrer mes esprits. La faim me rappelait que j’étais bel et bien vivant. Mon appétit était toujours là. Ma graisse aussi. Je m'appelais toujours Gros Lard et j’avais encore faim de chocolat.

    J’ai longtemps cru qu'un homme trop gros finissait par exploser. Je me disais que j'avais encore de la marge avant que cette limite soit franchie.

    Les copains de ma classe, eux, minces, ne se posaient pas ce type de question. Ils n’avaient qu’une angoisse : devenir un gros lard maladroit comme moi. C'est de la faute de mes parents aussi : ils ne m’ont jamais obligé à manger moins ou seulement dit une seule fois que j'étais trop costaud pour mon âge.

    Une fois, je surpris le médecin glisser à l'oreille de ma mère, Il faudrait peut-être le mettre au régime votre gamin si vous ne voulez pas en faire un enfant obèse ! Sur le coup, je fus inquiet. Je cherchai le mot obèse dans le dictionnaire et sa définition me fit réfléchir. Et puis le temps passa et je me fis à l’idée qu’un jour je serais obèse comme d'autres se font à leur surdité. C'est une histoire d'habitude. Je ne me voyais pas avec quinze kilo en moins. Je préférais rester un gros lard plutôt que de suivre un régime. Et puis, il y a des jours où j'aurais bien fondu d'un seul coup sans rien dire à personne, histoire de changer de peau, à l’instar des serpents avec leurs mues.

    C'est vrai, j'aurais tellement aimé me métamorphoser.

    Alors je mélangeais plusieurs produits entre eux dans mon laboratoire afin de trouver la formule magique de l’invisibilité. Au moment où j'étais sur le point de boire la nouvelle mixture, je finissais par poser le verre par terre : l’odeur qu’elle dégageait et la couleur qu’elle avait m’en dissuadaient presque aussitôt.

    L’invisibilité m’aurait permis d’oublier que j’étais différent des autres. Si seulement j’avais connu un gros comme moi, je me serais senti moins seul. Je lui aurais posé une tonne de questions auxquelles les gens minces ne parvenaient pas à répondre. Je suis sûr que tous les gros devaient souffrir l'été : je n'étais bien qu'à l'ombre. J'admirais les teints mats de mes camarades revenus de vacances passées au soleil. Moi, je restais comme un gros blanc-bec, dans mon trou, à l'abri du cagnard, quand nous n'allions pas à la mer. Sinon, lorsque nous partions, je ne m'exposais pas. Je gardais mon pantalon et mon tee-shirt. Je ne les enlevais que pour me baigner. Dès que je sortais de l'eau, je me rhabillais en vitesse et je restais sous le parasol. Pendant ce temps-là, je regardais les autres s'amuser dans l'eau et cela me donnait envie d'y retourner. Mais j'hésitais : il fallait que je me déshabille à nouveau ; alors avec mes pieds dans le sable, je creusais et je creusais pour sentir la fraîcheur des trous monter le long de mes jambes. Une fois que j'avais senti ce que je cherchais, je me les enterrais et je ne bougeais plus. Parfois, je me retrouvais avec du sable jusqu'aux genoux. Je ne sentais plus mes membres. D'autres s'amusaient comme moi, mais eux ils s’ensevelissaient l’intégralité du corps. Ils avaient du sable jusqu'en haut du cou. Seule leur tête dépassait de la surface de la plage. Moi, je n'aurais jamais osé. J'avais trop peur de mourir étouffé.

     

    Sous mon parasol, je finissais par oublier le soleil. La plage était bondée à chaque fois qu'on y allait. J’avais de quoi occuper mon temps libre : je regardais les vacanciers et j’inventais leur vie. Leurs têtes, gestes et  paroles me suffisaient pour construire des familles plus ou moins abracadabrantes. L’exercice était moins compliqué avec ceux qui semblaient plus défavorisés parce qu’ils étaient volubiles et loquaces. Je n’avais aucun mal à les imaginer en dehors du contexte des vacances. Ceux qui prenaient maintes et maintes précautions avant de poser leurs affaires m'intéressaient tout autant.

     

     

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    J'ai eu des périodes où je me prenais pour un médecin légiste. J’entreprenais des autopsies sur les corps d'animaux morts que je trouvais par hasard, lors de mes promenades solitaires. Je m'amusais à rédiger des rapports sur les circonstances de leur décès. C'était l'occasion pour moi d'imaginer toutes sortes de vie à mes pauvres bêtes. Du crapaud qui avait dû se faire rouler dessus, à l'oisillon tombé de son nid, en passant par la grosse mouche à vers que je retrouvais écrasée dans ma chambre, tous avaient eu une existence que j'essayais tant bien que mal de reconstituer jusqu'au moment fatal de l’accident. Je remplissais des feuilles et des feuilles sur mon cahier pour chaque animal. Chacun avait un numéro comme dans les morgues.

     

    Certains de mes camarades de classe – surtout les filles - rédigeaient leur journal. Moi je complétais, sans me lasser, mon cahier de rapports médico-légaux. Quel est l’intérêt de raconter sa vie jour après jour ? pensais-je. Je trouvais cette manie absurde. Je me demande – si j’avais été contraint moi aussi de m’y plier - ce que j'aurais pu écrire. Je ne réalisais rien de particulier de mes journées, sinon me poser des questions sur l’existence que je menais. J'avais horreur d'écrire pour ne rien dire. Raconter le quotidien comme il était ne m'intéressait pas. Je préférais m'imaginer dans un autre monde, au coeur d'une mission, à la recherche du monstre dévorant les enfants pendant leur sommeil.

     

     

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    Je me répétais souvent mon surnom à voix basse. Gros Lard, Gros Lard, Gros Lard, Gros Lard, Gros Lard, Gros Lard.... résonnait dans mes oreilles tel un néologisme. À la longue je finissais par me demander ce que voulait dire ce mot. J'étais réellement déboussolé. Je m'imaginais un sens complètement différent après l’avoir entendu plus de deux cents fois, sans arrêter. Les deux mots ne faisaient plus qu'un seul et même son. Je me disais alors que j'avais un beau surnom.

     

     Personne d'autre que moi-même ne pouvait me calmer pendant mes moments d’extrême angoisse. J’avais du mal à croire les adultes : ils m’assuraient que c'était dans ma tête ; que ça passerait ; que tous ces tracas d’enfant disparaîtraient en grandissant. Je voulais vraiment qu'on me change les idées à un moment où j’étais convaincu qu’un jour je n'en aurais peut-être plus. En essayant de me rassurer, mes parents accentuaient mon malaise. J'aurais voulu qu'ils se taisent. Ils n'étaient pas obligés de mentir ou d’avoir un langage imagé pour m’expliquer la réalité. Il fallait toujours qu'ils trouvent des ruses leur permettant de ne pas répondre franchement à mes questions. Ils simulaient l’écoute. J’imaginais très bien qu'ils pensaient au fond d’eux-mêmes que j'exagérais encore avec mes idées.

    J'en étais arrivé à croire que je ne vivais pas dans le même monde. Je rêvais de péripéties que les autres interprétaient comme des obsessions. Pourtant, eux aussi devaient bien se raconter des histoires ! Comment s’y prenaient-ils pour qu'on ne s'en aperçoive pas ? Il suffisait que je prononce un mot, et ça y était, on devinait ma pensée : on me demandait d'arrêter mon cinéma. Je ne  comprenais pas comment les gens pouvaient être aussi perspicaces. Avais-je la tête à ce point si transparente que même mes pensées les plus secrètes - celles que je n’avouais à personne -, étaient visibles de tout le monde ? C'est sans doute pour cette raison que j'étais mal à l'aise pour mentir : aussitôt qu'un mensonge sortait de ma bouche, je rougissais.

     

     Mon laboratoire était mon sanctuaire. Il se trouvait dans un coin du garage où j'avais installé, sur une grosse caisse pourrie retournée pour l’occasion, mon microscope flambant neuf. Je me prenais pour un vrai scientifique. J'étais persuadé que j'étais fait pour la biologie ; que je deviendrais un grand savant qui découvrirait l'immortalité. Voilà le mot qui, je pense, me poursuivit longtemps et motiva mon goût pour les sciences naturelles : comprendre mieux la vie pour trouver un remède contre la mort.

     

    Toutes les bêtes que je trouvais sans vie ou que je tuais, je les entreposais dans des petits bocaux et les observais au microscope - quand elles n'allaient pas au cimetière. Je ne pourrais pas dire exactement combien d'antennes de sauterelles ou de pattes de scarabées j’ai observées dans mon antre. Contrairement à un vrai chercheur, je n’avais jamais de conclusion à livrer au public. J'étais ébahi par la précision de l'appareil qu'on m'avait offert. La moindre poussière était bonne pour passer sous ma loupe. J'avais bricolé un bloc opératoire de fortune juste à côté de ma caisse et j'opérais encore vivants les vers de terre que je ramenais du jardin. J'avais un petit faible pour les lombrics. Je les voyais comme de minuscules serpents bougeant dans tous les sens et creusant  de leur tête pointue la terre fraîche devant eux. Leur agilité et leur détermination m’impressionnaient. Un coup de bêche et hop, on voyait la queue fine et glissante de l’oligochète partir avec le reste du corps déjà bien enfoncé dans le sol humide. Mon père en avait assez de voir des trous dans le jardin. Cela lui était égal que je sois à la recherche de la perforation furtive du vers dans la terre. Même quand j'essayais d'en attraper un, il me glissait entre les doigts ou je le cassais en deux. Je remarquai, au moment où je le disséquais, qu'il n'y avait que de la terre dans son ventre. Je ne réussissais pas à voir ses entrailles, son coeur ou son foie. Comme j'aurais aimé qu'un vrai scientifique me montre tous ces organes ! Sur mes livres de sciences naturelles, la question n’était même pas abordée. 

     

     

     

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