•  

     

     

     

    Chacun son refuge. Chacun ses croyances. Chacun ses espoirs. Danielle apparaîtra dans mon film comme une mère tiraillée, amoureuse, désespérée, subitement enthousiaste, d’une humeur oscillant en permanence entre tristesse accablante et passion salvatrice. Ses paroles seront toujours source d’inspiration pour son mari. Elles permettront à  Damien d’affûter son regard sur le monde, de préciser son projet artistique, d’abandonner sa propension à voir les choses en noir et d’attiser son amour pour elle.

    Léa au milieu d’eux deux - tel un radeau vivant vidé de ses passagers -, partira à la dérive pendant qu’ils nageront chacun de leur côté, à contre-courant et de toutes leurs forces dans l’espoir de  le rejoindre enfin et de le ramener au plus vite vers des eaux moins déchaînées. Chaque jour filmé sera un jour de pris à la tempête prévue.

    (Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour)

     

     

     

     

    Blogmarks

    votre commentaire
  •  

     

    Danielle est avec Léa. Elle lui raconte une histoire avant de s’endormir. Puis une deuxième, puis une troisième, puis une quatrième, puis une cinquième, puis une sixième. Danielle lui explique qu’elle ne peut pas passer la soirée comme ça avec elle, qu’elle lui a assez raconté d’histoires, que normalement c’est une seule, voire deux, mais pas plus qu’on raconte à son enfant le soir, au lit. Léa part dans une crise de larmes. Sa mère a des remords et cède. Elle revient voir sa fille. Cette dernière lui pose des questions sur la vie. Danielle y répond le plus précisément possible en essayant de la calmer.

    Le temps passe et les discussions continuent dans la chambre de Léa pendant que Damien est dans le salon en train de lire. Il voudrait intervenir pour demander à Léa d’arrêter son cinéma mais il est attendri par la candeur des questions de sa fille. Il entend tout du salon : la douce voix de Léa qui à deux ans parle comme une enfant de cinq ans et les rires de Danielle, coincés entre les quatre murs de la chambre de sa fille, résonnent tels d’énormes perles noires tahitiennes en train de tomber sur un sol de marbre. On sent que Damien est séduit par la scène et aussi un peu agacé par le harcèlement que Léa fait subir à sa mère. Il sait qu’elle veut bien faire avec sa fille, qu’elle désire ardemment profiter d’elle le plus possible. Mais il est conscient que ce n’est pas la solution, qu’il va falloir trouver un juste milieu afin d’éviter un possible renversement de pouvoir redouté par tout le monde.

    ( Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour )

    Blogmarks

    votre commentaire
  •  

     

    Léa a deux ans et demi et elle est impatiente de se promener avec son père. Aujourd’hui Damien lui a promis d’aller observer les limaces orange sorties après la pluie et de retrouver le vers de terre égaré l’autre jour sur le bord du fossé sûrement en train de l’attendre sagement.

    En route pour de nouvelles aventures, main dans la main, les yeux rivés au sol, ils arpentent le chemin menant à la forêt, là où les animaux parlent et les insectes s’aiment.

    - Ça y est papa, regarde, il est là le vers de terre ! s’écrie Léa.

    Damien s’accroupit comme sa fille. Il est désormais au même niveau de la terre qu’elle et il l’écoute lui raconter ses histoires tout en observant la vie minuscule d’autres espèces animales grouillant dans les gravillons près de la bordure de route.

    - Faut pas qu’il se fasse écraser. Comment on va faire ?

                - Ne t’inquiète pas Léa, il va retrouver son chemin. Ils ont l’habitude de s’égarer les vers de terre. Avec leur tête chercheuse et bien pointue, ils trouvent toujours un moyen de rentrer dans la terre et d’être parmi les leurs.

    - C’est drôle la tête d’un vers : il a pas d’yeux !

    - Comme il vit dans la terre, il n’en a pas besoin. Il fait trop noir pour y voir quelque chose.

    - En plus il a pas peur des monstres, hein papa ?

    - Pourquoi tu me dis ça ?

    - Il a pas peur des monstres. Il a pas d’yeux pour les voir.

    - Oh tu sais, les monstres ça n’existe pas. Je te l’ai déjà dit, Léa.

    - Oui, mais eux les vers ils ont pas peur. Dis papa !

    - Peut-être que parfois ils ont peur, mais certainement pas à cause des monstres, ça c’est sûr.

    - Ils ont peur de quoi ? Des sorcières ?

    - Non, ça non plus, ça n’existe pas les sorcières souterraines. Ni les autres d’ailleurs. Non, mais par contre il se peut que les lombrics – c’est le mot savant pour les vers de terre – ils éprouvent de la peur quand les pêcheurs viennent les chercher avec leurs bêches pour les accrocher à leurs hameçons.

    Léa fronce les sourcils. Elle n’a visiblement jamais entendu parler ou vu de ses propres yeux de telles scènes de boucherie. Les pourquoi se succèdent dans sa bouche suivis du tac au tac des parce que dans celle de son père. Damien s’amuse, on dirait un enfant. Et elle aussi comprend qu’ils participent tous les deux à un jeu interminable. Cela la fait sourire puis elle éclate de rire. Il est très fort à ça, pour donner des réponses de plus en plus abracadabrantes aux interrogations philosophiques de son enfant.

    (Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour)

     

     

     

     

     

    Blogmarks

    votre commentaire
  •  
     
     
     
    L’heure approche où le stewart responsable du groupe viendra les chercher pour les emmener directement à bord du Boeing. Il ne reste qu’un quart d’heure avant son arrivée et les jeunes continuent à se regarder en chien de faïence. Passagers malgré eux du même convoi transatlantique, les figures se ferment. Ils ressemblent à des prisonniers qu’on envoie au bagne. Sans doute sont-ils forcés de retrouver leur père ou leur mère américain qu’ils n’ont pas envie de rejoindre.
    Il y a en réalité deux clans, celui des mineurs non accompagnés d’une part et d’autre part celui des parents accompagnateurs, comme Damien, et ceux-là tournent et virent dans l’aérogare, à l’affût de tout et de rien, ou pour certains - habitués à ces séparations organisées – ils partent s’asseoir dans leur bar favori, prendre un café en attendant.
    Damien se rapproche de sa fille. Elle ôte ses oreillettes et daigne enfin adresser la parole à son père mais il n’a rien à lui dire sinon qu’il va être temps d’y aller. Julie veut en avoir la confirmation. Elle jette un coup d’œil furtif à l’horloge digitale. Il est douze heures quarante-cinq et c’est l’heure du rassemblement près du bureau d’accueil d’Air France. Ni trop tôt ni trop tard. Il a appris à apprivoiser les troubles obsessionnels compulsifs de Julie. À la seconde près, l’heure n’est pas l’heure. À la minute près, l’heure c’est l’heure. Il sait que les catastrophes sont passagères mais désagréables quand elles se produisent à longueur de temps, n’importe où, pour un oui, pour un non, lorsque personne ne s’y attend et que celle qui les redoute vit en permanence avec l’angoisse de devenir folle un jour ou l’autre.
    Nonchalamment Julie se dirige vers le guichet Air France et Damien se tient à ses côtés ne sachant que faire. Lui dire au revoir tout de suite ou l’accompagner jusqu’à la dernière limite autorisée ? D’autres pères doivent visiblement faire face au même dilemme.
    Soudain le stewart annonce aux accompagnateurs qu’ils peuvent suivre le groupe des jeunes voyageurs. Pendant ce court trajet labyrinthique les menant devant une porte vitrée à ouverture automatique chacun reste dans son monde, avec une boule dans la gorge ou un nœud au cœur ou des frissons dans tout le corps ou des picotements jusque dans les joues.
    Chacun embrasse sa progéniture puis la laisse s’éloigner sans la quitter des yeux. Il ne reste alors – au moment où la porte se referme - que l’ombre d’un avion qui décolle coincé dans le regard perdu de ces hommes abandonnés par leur enfant soudain devenu grand en l’espace d’une seconde.
    (Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour)
     
     
     
     
     
     
     
    Blogmarks

    votre commentaire
  •  

     

     

    Julie est avachie sur son siège pendant que Christian se balade de long en large dans l’aéroport. Les mains dans les poches, il promène son impatience dans les coins et recoins du Terminal E en pensant qu’il n’aurait jamais imaginé accompagner un jour sa fille pour un voyage aux Etats-Unis. De loin il l’observe. Elle reste impassible, bercée par sa propre sérénité, musicale et rayonnante. On dirait qu’elle appartient désormais à un nouveau cercle d’adolescents, de voyageurs non accompagnés reconnaissables à leur pendentif Air France qui s’agglutinent autour d’elle. Le point de rencontre des UM est celui où Julie siège sans le savoir. Elle les regarde tous d’un air méprisant comme savent le faire les ado quand ils n’aiment pas qu’on les approche et qu’on leur file la honte. Elle se redresse et se comporte comme si elle était visiblement au-dessus du lot, plus intéressante et inaccessible que les autres.

    ( Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour )

     

     

     

     

    Blogmarks

    votre commentaire