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    Le nouveau jeu que Stéphane – le kinésithérapeute - a trouvé pour évaluer le souffle de Léa et surtout la forcer à travailler sa respiration consiste à créer de la buée - à l’aide d’un embout en plastique - sur le miroir de la salle de bains. Ainsi peut-elle dessiner de son index toutes les formes qui lui viennent à l’esprit et les voir aussi disparaître juste après. L’effacement rapide des dessins sur la buée incite aussitôt Léa à souffler à nouveau sur le miroir et ce de manière méthodique et sérieuse.

    Les ronds et les traits laissés par son doigt fin et délicat ressemblent à des radeaux - en forme de fétu de paille - abandonnés au milieu de gigantesques nénuphars. Inlassablement elle recommence à vider ses poumons pour aussitôt remplir l’espace embué qu’elle a devant elle des mêmes univers dont elle ignore certainement qu’ils reviennent sans cesse sous ses gestes. 

    Aidée par les mouvements d’accompagnement de Stéphane, elle expire et inspire, tout en jouant et sans s’en apercevoir, l’air dans et  autour d’elle. Leur complicité est remarquable.

    (Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Tout en regardant pour la énième fois

    Le film « Charlie’s country »

    J’écris un poème dans ma tête.

    C’est ma manière à moi

    (Certainement idiote)

    D’exprimer ma totale empathie

    Envers ces personnages aborigènes.

    C’est ma manière à moi

    (Tout à fait stérile)

    De dire ma colère.

     

     

     

     

     

     

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    Dans cette scène de souvenirs relative au journal que Danielle tient sur sa fille, c’est un pan de l’existence personnelle de sa mère que Léa  lira aussi sans s’en apercevoir.

    Le télescopage des histoires respectives maternelles et paternelles tamponne le pedigree d’une famille. Je constate qu’il y a peu d’éléments sur la vie passée de Damien. Quelques-uns quand même dilués dans sa solitude ambulante donne à son regard une acuité qu’il veut sans cesse préserver.

    Lui aussi d’un certain côté est épris de perfectionnisme. Ses œuvres, sa vie, ses choix portent toutes les cicatrices d’échecs colmatés par sa détermination, sa régularité, son désir de se projeter constamment en évitant le plus possible de regarder en arrière.

    Je suis persuadé que le rétroviseur que chacun porte devant lui, invisible mais solidement attaché, fait reculer les hommes, les rend hésitants, malheureux et parfois désespérés.

    Je voudrais montrer dans ce film que vivre c’est parier sur l’avenir et que quelque soit la couleur du passé - capable à elle seule de déteindre et de dégouliner sur le fond de la toile achevée -, la jeunesse recèle dans son insouciance notoire et sa désinvolture légendaire une multitude de nouvelles teintes qu’il faudra prendre le temps de mélanger aux siennes un peu délavées par les années.

    ( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour. )

     

     

     

     

     

     

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    Déjà dans le ventre de Danielle, elle fronçait les sourcils, se souvient Damien. Le nez collé à la paroi utérine de sa mère, Léa gigotait comme une folle, impatiente de sortir, toujours à la même heure vespérale de la journée, alors que normalement elle aurait dû se préparer à dormir.

    La photo en trois D que le gynéco avait sortie sur son imprimante, Danielle l’a toujours. Elle l’a collée dans le journal de Léa qu’elle tient depuis qu’elle sait qu’elle est enceinte. Les premières pages du cahier commencent par le récit des circonstances de rencontres de Danielle et Damien. Chacun y a donné sa version des faits et Danielle les a agrafées l’une à côté de l’autre. Elle doit tout savoir, ma fille, avait déclaré Danielle.

    Les pages suivantes sont consacrées aux arbres généalogiques respectifs de Danielle et Damien. Rien ne doit lui échapper à notre fille, avait-elle confié à Damien. Je tiens à ce qu’elle connaisse ses origines et qu’on ne lui cache rien de ce point de vue-là. Damien avait été d’accord avec elle. Il avait trouvé l’idée - de rédiger le journal de sa fille jusqu’à ce qu’elle soit assez grande pour le lire comme un document biographique écrit par sa propre mère - intéressante. Lui aussi aurait aimé que sa mère lui écrivît un tel journal. Tous les enfants, se dit-il, aimerait qu’on leur offre pour leurs dix-huit ans ce type de biographie tendrement concoctée.

    ( Extrait de Notes pour un film qui ne verra jamais le jour )

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    La respiration de Léa devant le dessin animé qu’elle regarde est régulière. Elle sourit devant les singeries grotesques tout droit sorties de l’imagination enchanteresse d’un créateur inconnu. Et Damien, derrière son ordinateur où il cherche des nouvelles fraîches concernant la maladie, esquisse à son tour un sourire angélique devant la joie que sa fille éprouve. Il est attentif à sa manière de ventiler, observe de son fauteuil si les ailes de ses narines ne se dilatent pas trop sous l’effet d’une gêne respiratoire. C’est devenu une obsession chez lui.

    Léa est détendue. Elle joue à la grande fille responsable qui veut peindre toute seule des montagnes noires : elle adore le noir. Tous ses dessins sont remplis de noir et représentent des collines sombres sorties d’un bonheur qu’elle s’empresse de communiquer à son père. Il la félicite pour le côté expressif de sa peinture. Extrêmement touchée par ses compliments, elle ne trouve rien de mieux à faire que de sortir sa langue et se lécher la lèvre inférieure gercée depuis quelques jours et fendillée par endroits. Au contact de la salive les blessures ressortent, le rouge du sang est plus brillant, comme s’il venait de couler. Heureusement ce n’est qu’une illusion d’optique.

    Damien lui  nettoie les commissures encore imprégnées du chocolat au lait qu’elle a pris ce matin. Et comme elle a horreur de ça, elle crie, Je suis une grande fille. Laisse-moi ! Laisse-moi ! Ses gros yeux noirs et menaçants n’impressionnent aucunement son père ; il s’obstine à finir de la laver en la maintenant contre lui.

    Une fois propre, elle marche à toute allure en continuant de singer la grande personne énervée. Elle n’a que trois ans et son agacement en a dix de plus. Elle s’en prend à ses poupées, Petite et Grosse, comme elle les appelle, qu’elle menace d’enfermer dans leur chambre si elles ne se calment pas rapidement. C’est mot pour mot les expressions qu’elle emploie lorsqu’elle gronde ses enfants en plastique.

    ( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

     

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