•  

     

    Musique 

     

    Nous y sommes sensibles tous les deux. Elle te fait pleurer quand tu l'écoutes, si bien que tu te caches pour vraiment t'adonner à ce plaisir particulier. Tu ne veux pas que l'on te voie dans cet état de sensibilité extrême. Tu n'as pas à te justifier, je te comprends. Dès que tu m'as expliqué ton hypersensibilité à la musique, je n'ai pas trouvé ça drôle, au contraire. Tu ne peux pas en écouter tout en travaillant. Il faut que tu choisisses à chaque fois entre ce moment rare et le travail quotidien. C'est tellement prenant pour toi, comme une vraie activité physique. Tu es remuée  dès que tu entends la voix de la Callas. Elle te transporte et te transperce de part en part. Quant à moi j'ai un plaisir plus abstrait et difficile à exprimer. Il est à la fois diffus et dense et quand l'émotion est à son comble, c'est intérieurement que tout se passe. Je crois que les vitres que j'ai en moi s'embuent doucement sans rien dire à personne. Je suis alors dans le flou le plus absolu, je n'y vois plus rien. Je veux dire que ma perception du monde extérieur n'est plus très nette à cause de cette vapeur diffusée dans mes entrailles. Elle est tellement épaisse qu'elle remonte et se colle aux verres de mes lunettes. Dans ces cas-là, je suis plus animal que jamais. Mon humanité disparaît soudainement.

    (Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour, coécrit avec Balval Ekel, Editions Jacques Flament)   

     

     

     

     

    Blogmarks

    votre commentaire
  • Peinture

     

    Si les rêves sont les peintures abstraites de l'âme, t'avais-je dit un jour où nous parlions à bâtons rompus comme cela nous arrive souvent, je ne savais pas que je noterais cette pensée dans mon carnet à citations. Bon, ici c'était pour parler des rêves, que j'avais fait cette analogie avec la peinture. Mais cette activité ne sert pas uniquement d'image de comparaison. Ni chez toi ni chez moi. Nous avons, là aussi, pratiquement les mêmes goûts : Basquiat et Chaissac sont les deux artistes que nous affectionnons particulièrement, et pour les mêmes raisons. Spontanéité, imagination, audace et originalité. Bien sûr Matisse et Gauguin occupent une place privilégiée dans ton coeur, et cela pour des raisons sentimentales liées à la géographie, tout comme Marcel Réquichot me fascine par sa création autistique et ses obsessions fétichistes. Te souviens-tu d'ailleurs de ce livre sur son travail que je t'avais prêté dans la salle des prof, histoire de sonder, l'air de rien,  tes goûts en matière d'art, quelques semaines avant de t'embrasser pour la première fois ?  Tu avais le projet d'écrire une thèse sur les peintres écrivains et faute d'y être parvenue, nous avons fait graver par un bijoutier nos prénoms respectifs derrière nos alliances juste avant notre mariage.

    (Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour, coécrit avec Balval Ekel, Editions Jacques Flament)  

     

    Blogmarks

    votre commentaire
  • Ecrire

     

    Souvent je me demande si écrire n'est pas une manière un peu détournée de vivre autrement ce que l'existence nous impose et qu'on voudrait éviter. Un refuge en quelque sorte qu'on travaillerait avec le temps. Je découvre avec toi qu'en écrivant je vis comme les autres sans pour cela me nicher quelque part. J'écris comme je respire parce je ne peux pas faire autrement. Discrètement mais à la vue de tous. Dans un coin du salon, éclairé dès le matin par ma lampe de bureau, je rêve de te faire lire mes projets une fois terminés. Tu es ma première lectrice, pas toujours. Parfois, je veux te faire la surprise et t'offrir mon livre une fois publié. Ecrire me rapproche de toi, comme si le contact physique ne suffisait pas, qu'il fallait en plus que je te laisse une empreinte littéraire. Une preuve de vie faite de mots que je me suis amusé à enfiler les uns après les autres comme une fillette confectionne dans sa chambre des colliers de perles qu'elle offre à sa mère. Ecrire c'est aller de l'avant sans faire de chichi, rajeunir contre toute attente, développer un sixième sens, retrouver le plaisir de l'enfant qu'on a été, forcer des portes, élaguer les branches  de l'arbre qu'on a planté afin qu'il puisse grandir tout seul.

    (Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour, coécrit avec Balval Ekel, Editions Jacques Flament) 

     

     

    Blogmarks

    votre commentaire
  •  

     

    Uniforme 

    Pour rien au monde je n'aurais porté l'uniforme militaire. Et jamais je ne le porterai. Quand tu m'as annoncé que ton père - d'adoption - était général de l'Armée de l'air, je me suis dit que j'allais avoir du mal avec lui. Je suis un ancien réformé P3 et fier de l'être. Tu as ri quand je te l'ai annoncé, avant que tu me présentes à tes parents. Et tu m'as avoué que si tu avais été un homme tu en aurais fait autant. Tu n'aurais pas supporté une seule seconde d'être incorporée dans un régiment militaire, même pour un an. Là aussi nous nous sommes bien trouvés. Je me revois encore, juste après qu'un officier de la caserne de Valenciennes tamponne ma carte militaire d'un gros P3 en caractère gras, me diriger vers le bar le plus proche de la caserne de mes trois jours, commander un demi, après avoir acheté une part de flan - le dessert préféré de mes vingts ans - dans la pâtisserie d'à côté, et célébrer égoïstement à la terrasse, en plein soleil, ce nouveau diplôme obtenu haut la main. Un soulagement immense venait de m'assaillir que je te raconte souvent avec émotion et que tu comprends. Je crois que c'était le meilleur demi de ma vie que je bus ce jour-là. La part de flan que je savourai n'a jamais été aussi succulente par la suite. 

    (Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour, coécrit avec Balval Ekel, Editions Jacques Flament)

     

     

     

     

      

    Blogmarks

    votre commentaire
  •  

     

    La perte d’un grand ami donne à mon attachement pour cette femme un relief inattendu. Parfois, je me sers du fantôme de Fabrice comme d’un tremplin entre elle et moi. Et à d’autres moments, je le considère comme un fossé invisible : il nous empêche de nous rapprocher. Elle, trop hantée par sa frustration de ne l’avoir jamais aimé physiquement et moi  perturbé par le rôle d’intermédiaire que je suis essentiellement censé jouer dans cette histoire. Personne ne peut m’aider et ma librairie encore moins. Le silence des mots prisonniers des pages de tous ces livres que j’aimerais vendre ressemble pièce pour pièce au désarroi auquel je dois faire face : immense et harcelant.

    (Extrait d'un roman inédit)

     

     

     

     

    Blogmarks

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique