• Trier 

    Nous faisons tous les deux un métier nous obligeant à trier régulièrement ce que nous accumulons toute l'année. Même si grâce à l'ordinateur, nous pouvons entasser des fichiers et ne pas en mettre partout sur nos étagères respectives, il faut toujours qu'à un moment donné nous triions parmi la multitude de papiers, ceux que nous garderons et ceux qui partiront à la poubelle. Tu as du mal à jeter. Disons qu'avant de te séparer de classeurs entiers, tu fais un premier tri, puis parfois un deuxième et enfin tu te décides à te débarrasser de ce qui encombre ton bureau. Je suis du genre expéditif. A force de trier à la va-vite, je peux mettre à la poubelle des documents que je voulais garder. Tu es plus méthodique que moi, voire fétichiste parfois. J'ai un côté sauvage et impulsif avec ce qui traîne autour de moi, sur mon bureau, dans mes bibliothèques, et que je ne veux plus voir. Tu peux même me demander, une fois que j'ai trié et mis de côté les bouquins que je ne relirai pas et que je donnerai au Restaurant du Coeur, si je suis sûr de vouloir m'en séparer. Cette attention particulière que tu as sur mes petits tas de tri a le don de m'attendrir à chaque fois. Je te reconnais bien là ma collectionneuse involontaire angoissée par le temps qui passe.

    (Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour, coécrit avec Balval Ekel, Editions Jacques Flament) 

     

     

     

     

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    Tango 

    C'est le premier Tango à Mouron que j'ai dansé avec toi. Tu t'es laissée guider comme une novice impatiente de bien faire. Tu portais une robe à fleurs et tes jambes étaient bronzés. Tu retenais ton rire amoureux mais je l'entendais quand même près de mon oreille concentrée. Tu as vite appris à danser le tango, toi qui me soutenais que tu ne savais pas le faire. C'était notre première danse à deux un peu technique. J'ignorais que je me serais retrouvé un jour dans la situation d'un prof de danse de salon. J'étais convaincu que tu maîtrisais ces pas tout simples, au fond, si tu sais les  compter.  Je sentais, en plus de tes jambes prises entre les miennes à chaque pas que nous faisions sur la piste, les battements de ton coeur cogner contre mon torse. Tu portais des mules noires et tu avais les ongles des pieds vernis de rouge. On aurait cru dans ma mémoire une vraie argentine redécouvrant son pays d'origine après en avoir été chassée dès la naissance. Cette danse t'allait comme un gant. Tu m'en reparles parfois de ce premier tango à Mouron qu'on avait dansé tous les deux un après-midi où c'était la fête au village. J'ai gardé en mémoire ce moment précis où tu as tout de suite accepté que je te montre comment glisser à deux, corps contre corps, synchrones. 

     (Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour, coécrit avec Balval Ekel, Editions Jacques Flament)

     

     

     

     

     

     

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    Savoir

     

    S'il y a un verbe qui caractérise notre manière d'être respective, c'est savoir. Et je dois reconnaître qu'à nous deux, nous en usons et abusons. Au fil du temps, son champ d'actions s'élargit. Il est littéraire au départ, devient politique, puis économique, mais aussi médical. Nous voulons toujours savoir ce qu'on nous cache et que nous découvrons à force de lire, de chercher, d'échanger, de réfléchir et peut-être aussi d'écrire. A quoi sert-il de savoir tout seul dans son coin ? Nous sommes à chaque fois surpris par toutes ces années que nous avons passées à l'école, au collège, au lycée, à la fac où normalement la dose de savoir que nous avons reçue devrait nous donner un bon bagage pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Et puis non, nous nous rendons compte avec le temps que ce savoir est partiel, tronqué, incohérent parfois, et cela nous donne envie de tout revoir de A à Z. Bien sûr on peut s'accommoder de ce l'on a appris à l'école et pendant ses études universitaires, mais dans notre cas si nous devions pour une raison ou une autre nous cantonner à ce savoir académique, nous ne serions pas les mêmes. Savoir c'est accepter de devenir un autre. Savoir c'est apprendre à mourir. Savoir c'est tolérer qu'on peut se tromper.

    (Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour, coécrit avec Balval Ekel, Editions Jacques Flament)

     

     

     

     

     

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    Kaleïdoscope 

    Je ne me souviens plus si je t'avais parlé du jour où j'ai entendu pour la première fois le mot "Kaleïdoscope". J'étais collégien et c'est notre prof d'Education Manuelle et Technique qui nous l'avait appris. J'étais impatient de découvrir l'objet. J'adorais le mot. Pour une fois, me lancer dans un travail manuel m'excitait au plus haut point. Nous avions travaillé avec des rouleaux de papier hygiénique que nous avions assemblés les uns aux autres de façon à fabriquer un tube. Le prisme en carton (pour faire le miroir), l'aluminium et les perles nous avaient étaient fournis par le prof. Il nous avait fallu plusieurs heures de travail pour finaliser l'objet. J'avais été fier de l'avoir réussi. Pour une fois,  rien n'était bancal, ce qui était rarement le cas en cours EMT. Cependant, je me suis vite désintéressé de l'objet. Je le trouvais d'une inutilité phénoménale. Un si beau mot pour peu de chose, m'étais-je dit. Je me souviens d'être resté longtemps pensif après cette réflexion que je m'étais faite. L'homme était donc capable d'inventer de très beaux mots pour des objets banals sans intérêt. Je pense que je n'étais pas le seul à avoir été déçu du résultat. Et je suis convaincu que si tu avais été dans ma classe, tu aurais été comme moi.

    (Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour, coécrit avec Balval Ekel, Editions Jacques Flament)

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Orée

     

    C'est un mot que ni l'un ni l'autre n'utilisons beaucoup. Pourtant sans t'avoir concertée, je sais que tu l'aimes tout autant que moi. La question est la suivante : pourquoi n'est-il pas plus présent dans nos textes respectifs ? J'aurais pu l'utiliser des dizaines et des dizaines de fois, mais non, je n'en ai aucun souvenir. Quand j'essaie de me remémorer tes derniers textes, même chose, je ne le vois dans aucun d'entre eux. L'aurions-nous fait exprès ? Ou est-ce un manque inconscient ? En tout cas la coïncidence est étrange : nous vivons depuis dix-sept ans à l'orée du plus grand massif forestier de Vendée, celui de Mervent. Je parle plus volontiers de lisière ou de clairière même - autre mot que j'affectionne particulièrement depuis longtemps. Et tu m'as appris le mot airial. Mais ni l'un ni l'autre n'ont à voir avec l'orée qui nous échappe. L'orée, que nous ne voyons pas près de chez nous, reste un mot que nous aimons sans oser l'employer à l'écrit. Sans doute cela vient-il du fait que ce mot est encore trop abstrait pour qu'il apparaisse d'une manière ou d'une autre dans notre littérature respective. Je découvre qu'il ne suffit pas d'aimer un mot pour que je l'emploie dans mes textes. Il doit y avoir sous sa belle peau un gros coeur qui parle au mien. Ou quelque chose comme ça.

     (Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour, coécrit avec Balval Ekel, Editions Jacques Flament)

     

     

     

     

     

       

     

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