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    Questions 

    Les questions que l'on se posait enfant n'ont plus rien à voir avec celles que l'on se pose en vieillissant. Parfois nous en parlons ensemble de ce fossé entre hier et aujourd'hui. Des réponses qu'on a trouvées ou pas, petits. Nous en sourions et nous en rions aussi. C'est souvent l'occasion pour nous de verbaliser comme nous pouvons les questions que nous partageons. Elles sont toutes liées à des angoisses politiques et à des craintes concernant notre fille Miri. Nous nous posons des questions mutuellement et régulièrement et je pense que ces échanges nous permettent de mieux appréhender le réel. Que serions-nous devenus sans nos questions partagées? Enfants, nous les gardions pour nous-mêmes, nous en avions honte parfois. Ensemble nous aimons nous les dire sans rien attendre en échange, juste pour le plaisir d'être interrogatifs à deux, d'être propulsés à des années-lumière de la Terre, dans un monde idéal que nous ne voyons pas arriver. Toutes les autres questions qui te font réfléchir, tu les trouves et les soulignes dans les livres que tu lis et que tu me communiques à ton tour : tu sais qu'elles vont me toucher . Et à chaque fois tu ne te trompes pas : tu connais par coeur ce qui m'interroge et qui va me plaire encore plus, écrit par un écrivain. 

    (Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour, coécrit avec Balval Ekel, Editions Jacques Flament)

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    Nager 

    J'ai appris à nager en regardant mon père. Tu nages comme un poisson, une sirène, un dauphin, parfois. J'ai commencé à nager comme un chien. Tu as vite pris du plaisir dans l'eau. Dans l'Aisne, enfant, je m'amusais à aller doucement vers des endroits où je n'avais pas pied et je revenais vite là où je pouvais sentir le fond boueux. Tu peux rester dans la mer des heures et des heures. Je nage la tête hors de l'eau. Tu rigoles quand tu me vois nager. Je nage comme mon père, la nage indienne qu'il a apprise seul pendant la guerre d'Algérie. Je crois que peu de gens nagent comme moi. J'avais bien remarqué quand on allait en vacances au bord de la mer que mon père ne nageait pas comme les autres. C'est lui qui m'a précisé un jour de juillet que c'était la nage indienne, la tête sur le côté, le bras gauche tendu devant soi et le bras droit faisant des petits mouvement de brasse. Une nage asymétrique qui m'impressionnait. C'est difficile de changer de nage. Tu es plus à l'aise avec la brasse, mais le crawl ne te fait pas peur ni la nage papillon. Tu parles du sentiment agréable de glisser dans l'eau que je ne ressens pas. Je pense à l'immensité liquide sur laquelle mon corps flotte et tente de se débattre du mieux possible pour ne pas couler. 

     ( Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour coécrit avec Balval Ekel, Editions Jacques Flament)

     

     

     

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    Loin

     

    La mer est toujours loin de toi. Sauf quand nous vivons un mois par an juste à côté d'elle. C'est là que tu te sens le mieux. Le reste du temps, tu t'imagines vivre dans l'eau, le soleil au-dessus de la tête et les idées claires. Ce sentiment océanique est beau. Il me rappelle que je l'avais aussi, petit. Avec le temps, je l'ai perdu, contrairement à toi. Enfant, j'attendais avec impatience les prochaines vacances de juillet pour retrouver ce qui te manque encore à cinquante-sept ans. Que s'est-il passé entre cette période, où plus rien ne comptait que séjourner au bord de la mer pendant quinze jours une fois par an dans un terrain de camping, et les années d'après vers l'âge adulte où la mer - que je continue à aimer - ne me procure plus le même plaisir qu'avant. Je repense à l'immense tristesse que j'éprouvais quand mon père pliait la tente, après quinze jour d'océan, matin midi et soir  et que nous devions rejoindre notre Picardie bucolique. Tous les ans je revis avec toi un peu de ma jeunesse lointaine quand après un mois passé au bord de l'Atlantique, tu as la gorge serrée de repartir, des larmes au fond des yeux. Je me revois enfant avec l'envie atroce de vomir dans la voiture pendant notre voyage vers un horizon plus champêtre et forestier.

    ( Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour coécrit avec Balval Ekel, Editions Jacques Flament)

     

     

     

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    Gestes 

    Tes gestes sont un prolongement raffiné de ta parole. Ils accompagnent ta pensée en même temps qu'ils l'embellissent, et tes élèves y sont eux aussi sensibles. Une fable de Jean de La Fontaine lue à de jeunes lycéens tahitiens - à des années-lumière de la littérature du dix-septième siècle -, n'est pas la même chose quand elle est traduite en gestes ou non. D'ailleurs tu t'en es toi-même rendu compte ; tu continues à mimer les textes un peu difficiles à saisir pour tes élèves de première métropolitains. Il n'y a qu'ainsi qu'ils comprennent un peu mieux le sens des mots et la portée des oeuvres. Toi qui as horreur de faire du théâtre et de te mettre en scène, ton corps en a décidé autrement et tu n'as pu l'en empêcher. Je ne connais personne d'autre capable de captiver une salle remplie d'élèves, peu ou pas du tout intéressés par les cours de français, grâce aux gestes que tu enchaînes en lisant à voix haute des classiques. Bien sûr ta gestuelle n'a rien à voir avec celle d'une chanteuse de rap, ni même avec celle du mime Marceau - que tu adores depuis que tu es petite -, mais plus avec celle d'un être tombé d'un nuage qui aurait perdu sa langue un jour de voyage au milieu d'étrangers avec lesquelles il aurait eu envie de communiquer à tout prix.

    Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour, Editions Jacques Flament, co-écrit avec Balval Ekel) 

     

     

     

     

     

     

     

     

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     L'hiver

     

    L'hiver est une saison que nous appréhendons toujours un peu chaque année. Toi la femme du début du printemps et moi l'homme de la fin d'été. Tu aimais Tahiti parce qu'il n'y avait pas d'hiver, je veux dire pas d'hiver froid comme ici. Là bas il fait vingt et un degrés. Je suis content d'habiter en Vendée parce que les hivers septentrionaux - d'où je viens - m'ont laissé tranquille. Nous sommes d'accord sur ce point, l'hiver est plus beau en image que dans la réalité. Et pourtant tous les ans nous nous réchauffons comme nous pouvons sans penser au froid qu'il fait. Nous avons la chance d'avoir une maison assez grande, chauffée et correctement isolée. Cela aide à ne pas voir passer le temps. Nous sommes sur la même longueur d'onde même les mains froides. Tu te sens encore plus proche de Simenon et moi de Pirotte, à cette période précise de l'année. La littérature nous réchauffe le coeur d'une manière ou d'une autre. Cela est une autre richesse que j'ignorais avant de t'aimer. L'hiver poursuit son travail secret - l'air de rien - de rapprochement et de connivence que nous ignorions avant de vivre ensemble. En hibernant, nous reprenons des forces et nous entretenons notre douce animalité d'amoureux clandestins.

    ( Extrait de Garage, néon, hélicoptère et autres mots d'amour, Editions Jacques Flament, co-écrit avec Balval Ekel )

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