•  

     

     

     

    - Une grande partie des enfants nés avec un iléus méconial ont davantage de risques de développer une cirrhose du foie plusieurs années plus tard, annonce la pneumo-pédiatre.

    Les yeux de Danielle s’humidifient. D’une voix légèrement tremblotante, elle demande :

    -                    Alors Léa finira elle aussi par avoir une cirrhose ?

    -                    Pas forcément, lui répond le médecin, sûre d’elle-même et au fond pas très certaine quand même. Chaque cas de mucoviscidose est unique, vous savez. Mais le bon côté des choses dans cette maladie – si je puis m’exprimer ainsi, pardonnez-moi l’expression - c’est que ce qu’on affirme aujourd’hui sera certainement obsolète dans dix ans.

    -                    Vous voulez parler des progrès en matière de greffe ? demande Damien.

    -                    Oui, entre autre, mais aussi en ce qui concerne les traitements.

    -                    Vous voulez dire que d’ici là peut-être qu’on pourra changer le foie de Léa si elle a une cirrhose ? demande Danielle.

    Le médecin hésite puis dit :

    -                    Peut-être.

    Pendant ce temps Léa est dans la salle d’à côté à souffler dans un tuyau relié à un ordinateur. Le but pour elle est d’éteindre toutes les bougies virtuelles disposées sur le gâteau, ou du moins celles qu’elle peut. Devant les encouragements du technicien, Léa en redemande. La kinésithérapeute assiste elle aussi aux prouesses de la fillette. Après chaque souffle, le technicien enregistre la performance de Léa.

    Arrivée à la fin de ses multiples essais, elle déclare qu’elle est fatiguée et qu’elle désirerait voir sa mère et son père. Le technicien sait qu’il n’y aura plus moyen de tirer quoi que ce soit de l’enfant et il en profite donc pour sélectionner la plus belle courbe de son souffle. Il ne sait laquelle choisir ; elles sont identiques et montrent toutes une courbe parfaitement normale pour une enfant de son âge.

    (Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

     

     

     

    Blogmarks

    votre commentaire
  •  

     

     

    À nouveau, l’univers de la voiture avec son rétroviseur, son confort intérieur, sa vitesse et ce qu’elle symbolise pour moi, demeure mon espace privilégié pour filmer les contrastes et les points communs ; les rêves et les songes.

    Je m’aperçois subitement que ces milliers de kilomètres parcourus avec un enfant à ses côtés, sont un raccourci de la vie  avec ses risques d’accident et ses joies inénarrables que je tente de raconter.

    Ces trajets automobiles sont toujours sans panne, maîtrisés, parfaitement huilés, sans aucun toussotement mécanique dans toutes les scènes que je tourne avec mes enfants. C’est je crois le côté rassurant du ronronnement du moteur qui me plaît ; son efficacité à tous les égards ; la maîtrise des déplacements par opposition aux hasards de la vie auxquels  mes personnages doivent faire face.

    Tout est une histoire de dosage scrupuleux que j’essaie de respecter à la lettre afin d’être le plus proche possible de ce que vit Damien au quotidien. Bien sûr, son rêve mécanique est une subtile provocation balancée à la métaphysique ambiante.

    (Extrait de Notes prises pour une film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

     

     

     

    Blogmarks

    votre commentaire
  •  

     

     

     

    Puis il se tait lorsqu’il s’aperçoit que son client veut faire une pause. Il remarque tout Jérôme, l’air de rien, les yeux rivés sur l’autoroute. C’est un professionnel des voyages accompagnés. Alors il continue à tailler sa route sans rien attendre en échange, obéissant tacitement à un contrat qu’ils auraient signé ensemble depuis le début de ces déplacements hospitaliers.

    À la même allure, cent trente, dans un véhicule flambant neuf, un peu d’angoisse s’en va des ventres regagner la route bien droite des souvenirs douloureux. Le visage de Danielle est moins crispé, c’est ce que constate Damien dans son rétroviseur. Les voyages organisés ont parfois ceci de bon, pense-t-il, ils apaisent les tensions et anesthésient les volontés. Même Léa, habituellement rétive au sommeil dans la voiture de son père, a depuis plusieurs minutes fermé les yeux. Ce constat a le don de réjouir les parents ; ils se regardent dans le rétroviseur de l’ambulance et se font un clin d’œil amoureux. Damien reste impassible, les mains posées sur ses genoux à se dire que la tranquillité est une chose simple et cela lui plaît de plus en plus. À tel point qu’il se met à rêver de vivre une vie d’ambulancier. Il se voit parcourir des kilomètres et des kilomètres du domicile des patients aux hôpitaux en tout genre, des cliniques et des maternités et vice versa des hôpitaux aux domiciles des patients avec un programme préétabli par son patron.

     

     

     

     

     

    Blogmarks

    votre commentaire
  •  

     

     

     

    Le V.S.L vient d’arriver dans la cour. Léa, à la fenêtre, en train de le guetter depuis plusieurs minutes prévient ses parents :

    -                    Ça y est, Jérôme est là, maman !

     Ils sortent à la queue leu leu avec Léa en tête de cortège.

    Gentiment accueillis, ils prennent place à bord du véhicule en respectant un protocole qu’ils ont décidé ensemble sans s’être jamais concertés. D’abord c’est Léa qu’on installe dans son siège auto, puis Damien s’assoit à l’avant, après avoir confié le sac de Léa à l’ambulancier, et Danielle, derrière avec sa fille, finit par bien lui ajuster sa ceinture de sécurité de façon à ce qu’elle voyage confortablement et qu’elle n’aie pas trop chaud.

    Jérôme est comme d’habitude sympathique et discret, sachant alterner les moments de silence et les envies de discuter manifestées par Damien. Avec France Info en sourdine, les obligations de communiquer disparaissent sans qu’aucun des passagers ne s’en rende compte.

    Le paysage autoroutier au milieu duquel ils roulent jusqu’au CHU de Nantes est triste. Danielle et Christian le connaissent par cœur. Ils ont parcouru la route des dizaines et des dizaines de fois, il y a trois ans, suite au transfert de Léa au service de réanimation des grands prématurés, vingt-quatre heures après sa naissance.

    Deux ambulances privées viennent de doubler le VSL et les chauffeurs respectifs se saluent aussitôt d’un signe de la main habituel et convivial. On dirait qu’ils se rencontrent souvent sur cette A89 que tout le monde évite et qu’eux seuls empruntent.

    Régulièrement Damien entame la discussion et Jérôme le suit sans rechigner. D’ailleurs on dirait qu’il n’attend que ça, discuter avec lui, de ses films, de ceux qu’il prépare, de ceux qu’il n’a pas encore vus, de ceux qu’il a déjà revus plusieurs fois en DVD et qu’il considère avec sa femme comme les meilleurs de sa production.

    (Extrait de Notes prise pour un film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

     

     

    Blogmarks

    votre commentaire
  •  

     

     

    - À chaque fois qu’on va au CHU pour le grand rendez-vous de Léa, c’est comme si je me rendais à un examen universitaire. Je suis hyper stressée J’espère que tout ira bien, dit Danielle.

    - Il n’y a pas de raison. Elle prend du poids, elle n’a pas encore fait une seule bronchite depuis qu’elle est née, elle a une taille impressionnante pour son âge, elle est hyper active et heureuse de vivre.

    - Oui, mais elle est si blanche ! Et ces cernes qu’elle a dès le matin me préoccupent. Même si eux les médecins ils prétendent que ce n’est rien, moi ça m’embête.

    - Rappelle-toi de ce qu’avait dit un kiné quand on avait parlé de ça avec lui.

    - Oui, je me souviens, il avait dit que c’était parce qu’elle devait avoir besoin de boire, que la déshydratation ça provoque ce type de symptômes.

    - Alors tu vois, tu connais la raison.

    - Je me demande si c’est grave de se déshydrater comme ça.

    - Léa a la mucoviscidose, chérie, et tu sais comme moi que la déshydratation est une des conséquences notoires de la maladie. Cela dit c’est la seule qu’on puisse facilement résoudre et en plus sans l’aide d’un médicament : il suffit de la faire boire et après ça va mieux.

    Danielle ne répond rien.

    ( Extrait de Notes prises pour un film qui ne verra jamais le jour.)

     

     

     

     

     

    Blogmarks

    votre commentaire