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    Ce matin, Auguste ne va pas bien. Il me reçoit comme d’habitude, mais je sens que chaque geste lui coûte. Je suis seul à prendre le café : il ne m’accompagne pas. La table est mise rien que pour moi. Il n’a pas bien dormi cette nuit. Les douleurs qu’il a ressenties dans tout le corps l’ont empêché d’avoir un sommeil paisible comme il aime me les raconter. C’est la seule personne que je connaisse capable de me parler avec précision et singularité de ses lents départs vers la maison des rêves, chaque soir. Il est attentif à tout, même à cet aspect des choses que l’on n’évoque jamais. On lui préfère le récit du voyage inconscient plutôt que ses préparatifs, tout aussi fabuleux quand ils sont narrés avec autant de justesse. Cet état du corps trop lourd à la fin de la journée qu’il est si bien quand il retrouve l’immobilité du lâcher-prise progressif. Les lourdeurs de la journée se désagrègent au contact des draps, me conte-t-il. C’est comme si d’un seul coup, les valises d’un long périple étaient posées. Que plus rien ne comptait à part rejoindre le plus langoureusement possible l’autre rive. A moitié conscient, à moitié endormi. Après s’être déshabillé l’esprit souvent plus lourd que le corps, tellement il doit lutter contre ce qui l’excite et l’encombre durant la journée. Pour lui, l’introduction dans le monde des rêves est un reste qu’il a appris à travailler depuis qu’il dort seul. C’est sa manière à lui de faire l’amour à la nuit qu’il veut douce et reposante. Sans cette délicatesse et cette connivence entre eux, m’explique-t-il, rien ne servirait de s’endormir. La fatigue ne partirait pas. La solitude non plus. Je serais encore plus fatigué à mon réveil, conclut-il modestement, et encore plus seul que jamais.

    (Deuxième et dernier extrait d'une courte fiction inédite)

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    Et puis ce que j’aime bien avec Auguste, c’est qu’il n’a ni portable ni internet. Son téléphone fixe doit dater du début des années où le téléphone fut inventé, ou disons légèrement après. Il n’a pas besoin de tout ça, prétend-il, pour bien vivre. Je refuse de m’y mettre quoi qu’il arrive. Je constate que ces nouvelles technologies ont sans doute du bon, mais je crois qu’elles entretiennent davantage l’illusion générale d’une communication rapide, poursuit-il. Mais jamais il ne critique le fait que chez lui, je consulte mes messages. Il dit que je vis avec mon temps. Que le sien lui est compté. Il veut profiter pleinement de ses dernières années de vie, est convaincu que bientôt, il partira pour de bon. Mais c’est cette manière paisible et souriante de m’annoncer qu’il n’en a plus pour longtemps que je trouve élégante. Il n’est pourtant pas malade, se porte à merveille, a les idées claires et des opinions sur tout, qu’il défend sans jamais s’énerver ni proclamer haut et fort qu’il a raison.

    (Extrait d'une courte fiction inédite)

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    Quand la pluie s'arrête de tomber

     

    et que le soleil brille à nouveau

     

    j'ai parfois la sensation de me réveiller

     

    après une longue nuit passée les yeux ouverts

     

    à vivre comme un poisson dans l'eau

     

    en faisant du slalom entre les algues.

     

    Quand la pluie s'arrête de tomber

     

    les nuages me racontent juste après

     

    des histoires que je ne connais pas

     

    et que j'écoute tel un enfant insatiable.

     

    Quand la pluie s'arrête de tomber

     

    des roses poussent au fond de l'allée

     

    du jardin menant au fossé herbeux

     

    que je rejoins à un moment ou à un autre

     

    de la journée les mains dans les poches

     

    le désir secret de revenir aux sources

     

    de ce qui m'a fait grandir dans la forêt.

     

     

     

     

     

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    LES RAINETTES

     

    Mais aussi parfois penser à des voyages que j’ai faits n’apporte rien au plaisir de revenir dans ces mêmes endroits avec les sentiments diffus d’antan qui m’accompagnaient et que je voudrais éclaircir de toutes mes forces. Cette recherche de l’exactitude m’entraîne vers d’autres lieux que je décris sans savoir pourquoi. L’accumulation de ces incertitudes à éclaircir donne naissance à des histoires, des fragments que j’essaie de rassembler. La part de moi-même, je veux dire de mon existence vécue, dans ce travail de collage, est prépondérante. Je dirais que le ciment est le liant le plus autobiographique qui soit dans ma fiction. C’est grâce à lui que je redresse, je cale, je fortifie, je lisse l’ensemble afin qu’il paraisse le plus vraisemblable possible. Le reste n’est qu’illusion que je suis fier d’avoir mis en place avec les petits moyens du bord de mon vide. Sans doute cette fascination pour les constructions bien réalisées vient-elle de mon admiration, petit, pour les prestidigitateurs en tout genre. Jouer avec l’illusion du réel était pour moi une façon comme une autre d’imposer son pouvoir, de prouver sa force, de séduire rien qu’avec ses mains des milliers de gens non dupes et pourtant émus à chaque fois par le résultat toujours inattendu du numéro.

    Je me sens à nouveau obligé de revenir sur ces années d’errance que je m’applique à décortiquer dans tous les sens. Oui, pour moi l’enfance est une période semblable à un long couloir parcouru par une ombre dans une maison hantée. Les êtres qu’elle y croise sont tous mystérieux, ils fascinent et effraient en même temps. Ce qui était perçu comme fabuleux à cet âge peu avancé de la vie devient insignifiant à la lumière des rides perçantes et des cheveux blancs. En revanche, les détails sur lesquels glissait mon attention d’enfant tracassé sont maintenant des coquillages que je triture dans tous les sens parce qu’ils ressemblent à des pierres magiques parlant à mon désir de comprendre. Je cherche à saisir leur langue et c’est la progression de cette recherche qu’inlassablement je retrace dans mes textes.

     

    Les grenouilles grimpant au mur de la salle à manger de notre maison forestière avaient une beauté verte. Leur ascension a à voir avec mon travail d’écrivain. Lentement, lentement, elles auraient pu monter jusqu’au plafond et d’un seul coup tomber sur le dos et mourir peut-être devant mes yeux d’enfant en short. Je les en empêchais : je voulais qu’elles et moi nous restions amis pour la vie.

    Après leur fantastique escalade, je les replaçais précieusement dans mon jardin, à l’intérieur d’un minuscule enclos pour animaux récupérés dans la forêt. Je me rends compte que je m’y prends de la même manière aujourd’hui avec les phrases grimpantes, non pas à la verticale, mais à l’horizontale, sur des lignes invisibles et que mon écran me pousse chaque jour à remplir.

     

    C’est bien plus tard que j’ai su que ces tendres batraciens s’appellent des rainettes. Et je revois encore le papier peint à grosses fleurs de la salle à manger sous leur ventre froid. Leurs quatre pattes ventousées escaladant à l’allure d’un koala la surface plane du mur gauche de la salle à manger m’hypnotisaient. Coincé entre deux peurs : celle que ma mère me voie en train de faire grimper une rainette le plus haut possible sur le mur de la salle à manger, et celle d’assister en direct à la chute de la grenouille verte, je poursuivais toutefois contrarié mes observations quasi microscopiques de leurs ascensions. Même si je plaçais mes mains sous elle et que j’expliquais à ma mère que ces bêtes-là étaient propres, qu’elles ne saliraient pas le beau papier peint tout neuf de la salle à manger, j’appréhendais ces séances d’escalade que je menais de manière clandestine, quand ma mère était occupée à la cuisine, ou qu’elle faisait du rangement dans les chambres.

    La question que je me pose et à laquelle je suis incapable de répondre, c’est : pourquoi n’allais-je pas continuer mes expériences dans un lieu plus retiré, moins exposé à la vue de ma famille ?

    La réponse à cette question – parce qu’il faut tenter de répondre aux questions que l’on se pose, bien qu’on ne soit pas certain des réponses données - est le début d’une histoire que peut-être je dois écrire et développer. Voilà comment naît la fiction chez moi, à partir d’interrogations auxquelles je m’oblige à répondre. Cette liberté d’épiloguer à l’infini sur des suppositions ressemble au sentiment de légèreté que j’éprouve en skiant seul au milieu de la nature. Le vent a sur mon visage le même effet cinglant que l’écran blanc du matin au contact de mon plaisir de découvrir vers quelle direction mon intuition me conduira.

    Les bosses intérieures je me les prends de plein fouet quand aveuglé par la descente que je vois venir j’en oublie de faire attention. Retomber sur ses pieds devient une obsession, mais se produit rarement. La plupart du temps, il faut composer avec les blessures, les maux, les cassures, les claudications, attendre que tout se remette en place pour tenter une autre pente à dévaler. Si tout se passe sans problème, une part de moi cherche un risque à courir, histoire d’avoir le sentiment que créer c’est aussi se mettre en danger.

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Un coup de masse bien placé

     

    redresse le barnum

     

     

    et avec lui

     

    les fanions disposés en collier

     

    éphémère le temps de la fête.

     

     

     

    Ils seront des centaines à jouer

     

    sous les yeux un peu ivres

     

     

    des parents en kermesse

     

     

    que le rosé attendrit

     

     

    derrière les rides bleues.

     

     

     

    Haut ils toucheront les hirondelles

     

    rebondiront sur le château gonflable

     

    pieds nus shorts et jupes se cogneront

     

    pendant que leurs pères trinqueront

     

    à la santé d’ils ne savent plus quoi.

     

     

     

    La buvette est un rempart

     

    la pêche à la ligne un espoir de cadeau

     

     

    sous du papier journal froissé tranquille.

     

     

     

     

     

     

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